Jeanne - Histoires de Sexe

Jeanne

... allons, Roland, tu sais bien que la guerre, cela coûte cher. Chacun y contribue selon ses capacités : certains se battent, d’autres apportent leur argent. Mais tous unis pour un idéal commun ! Pense au Grand Soir, mon ami !

L’ami en question résume ce verbiage par le seul méchant mot de racket jeté d’une voix méprisante.

— Roland, Roland, soupire le « bandit bien aimé », je te comprends, tu sais… On traverse tous de ces moments, un jour ou l’autre, où l’on se demande : à quoi bon ? Pourquoi ? Est-ce que ces efforts serviront vraiment à quelque chose ? Où vais-je ? Où cours-je ? Vers quelle étagère ? Et qu’est-ce qu’on mange ce soir ?

Il éclate de rire, son visage tourné vers le ciel.

— N’est-ce pas, Jean ? Tu as connu de ces moments, comme nous tous.

Il n’attend pas une réponse de ma part et poursuit son chemin : bulldozer verbal écrasant toute velléité de réplique.

— Je te comprends, Roland, mais écoute-moi. Tu traverses seulement l’un de ces moments où il est essentiel qu’un ami, un bon ami, un véritable ami t’aide à te retrouver. Tu es éparpillé, mon cher, voilà toute la vérité. Je suis cet ami qui va t’aider à réunir les morceaux. Cet ami est devant toi. Écoute-moi, sois fort et tu retrouveras la lumière.

Pendant qu’il parle de la sorte, Blafard et Tiédasse rôdent dans ...

... la boutique en croquant des pommes.

Soudain, sans préavis, Roland baisse la tête en une reddition muette. Manderin accentue son étreinte.

— C’est bien, mon ami. Tu as fait le bon choix et je t’en félicite. Eh bien, si nous allions tout de suite procéder à ce petit versement ? Tout le monde se sentira mieux après, tu verras et surtout toi.

Dans la voiture qui nous ramène, Louis a cédé le volant à Blafard. La nuque appuyée au cuir de la banquette, les yeux clos, il offre le visage d’un homme épuisé. Comédie ou réelle baisse de régime, le débit est plus lent, la respiration plus profonde.

— Vois-tu, écrivain… un idéal est comme une belle serviette blanche. Dès que tu commences à y toucher, la crasse s’installe et avant même d’y avoir pris garde, le beau linge frais et doux devient…

Je lui suggère qu’il existe des lessives excellentes qui rendent le linge « plus blanc que blanc ».

Le « bandit bien aimé » acquiesce d’une ombre de sourire.

— Plonger sa vie dans la machine puis l’étendre sur un fil pour qu’elle sèche… c’est tentant. Mais quel travail !

Je m’entends dire que les amis sont justement faits pour partager les moments de grande lessive.

Le « bandit bien aimé » fait la moue :

— Jean, mon ami, tu me déçois. Tu es capable de trouver mieux que ça.

Le jour se lève.