1. Jeanne


    Datte: 16/06/2021, Catégories: portrait, Humour Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe

    ... t’assure : il y avait la mort dans tes poings. Tudieu, j’aurais dû avoir peur ! Allez, viens boire une bière, Terreur !
    
    En passant dans le couloir, il frappe du talon le sol, produisant un son creux.
    
    — Tu sais ce qu’il y a là-dessous ? Non, évidemment. Eh bien, mon cher ami, tu te tiens debout au-dessus de soixante-dix kilos de TNT. Abréviation pour…
    — Trinitrotoluène, merci, je sais. Un explosif de forte puissance.
    — Oui. De quoi envoyer cette maison en orbite autour de la terre… sous forme de gravats.
    
    Comme je lui demande si cela ne l’empêche pas de dormir, il frappe à nouveau du talon la planche dissimulée sous le linoléum.
    
    — Au contraire, mon grand, au contraire : j’en ai besoin pour bien dormir. Pour tout te dire, j’envisage sérieusement de transférer ce rassurant bagage juste sous mon lit. Quelles nuits, mais quelles nuits je connaîtrai alors !
    
    J’admets que tous les goûts sont dans la nature. Personnellement, un être humain de sexe féminin, et de préférence blond me convient beaucoup mieux.
    
    Le petit homme ne conteste pas :
    
    — Mais l’un n’empêche pas l’autre, mon grand ! On a tous besoin de ces somnifères blonds. Mais tu ne peux pas comprendre, toi qui vis dans l’honnête, comme un homme de mon acabit peut avoir besoin d’une bonne « assurance mort ».
    
    L’expression lui plaît au point qu’il la répète à plusieurs reprises, très satisfait de sa trouvaille. Il se pose devant la table et me regarde bien en face. Il ne détourne même pas le regard pour ...
    ... boire directement à la bouteille de longues rasades d’un vin blanc très sec dont il arrose son saucisson matinal. Et, comble de la facilité, il parvient même à n’interrompre jamais son propos en se livrant à cet exercice. Essayez, pour voir…
    
    — Mais non, il ne me reconnaît pas. Ce n’est pas vrai ? Ce n’est pas possible ? Tu ne me reconnais pas. Tu sais que tu m’offenses, mon grand, tu me fais injure et pitié. Toi que j’admire, un des rares hommes que j’aie aimés plus que moi. Je t’en prie, voyons, fais un effort, sinon je ne veux même pas discuter avec toi. Ah, je ne peux pas te laisser dans cet état de perplexité douloureuse, fils : tu pourrais te claquer un réseau de neurones et je m’en voudrais jusqu’à ma mort. Un indice ?
    — S’il vous plaît…
    — Je suis aussi célèbre que toi, Jean de Sordon. Une seule différence : ma figure à moi n’est jamais apparue sur le petit écran… et je m’en passe fort bien. Là, tu y es, cette fois ? Non ? Mon Dieu, mais tu me fais peur. Ou peut-être est-ce l’effet du petit matin. Oui, n’est-ce pas ? On va dire ça, on va le dire.
    
    Il repousse sa chaise, se laisse aller en arrière, éclate une nouvelle fois, faisant tressaillir un début de ventre encore musclé.
    
    — Louis Manderin, voyons. Tu ne vas pas dire que ce nom n’évoque rien pour toi. D’où sors-tu, de quelle île déserte ? Je suis Louis Manderin.
    
    Je dis : « Ah bon, oui, Louis Manderin, bien sûr ».
    
    Dans son attente, je devrais être consterné, béat de surprise et d’admiration. Aussi, je me ...
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