1. Jeanne


    Datte: 16/06/2021, Catégories: portrait, Humour Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe

    ... questions à voix basse, formule visiblement une consigne. Les deux guignols retournent poser leurs fesses dans la voiture. Le « bandit bien aimé » me pose une patte molle sur l’épaule.
    
    — Écoute-moi, fils. Je t’ai dit que je t’admire et c’est la vérité du Bon Dieu. Je t’admire comme on admire une glace à la vanille piégée qui explose en plein dans la gueule d’un ministre des Anciens Combattants. Si jeune, si propre, si pur. Oui, fils, je suis heureux que tu sois là. Tu vas constater que le bandit bien aimé ne mérite par le tombereau d’insultes que l’on déverse sur son nom. Viens : ce soir, il me faut un témoin.
    
    Je lui trouve un côté Cyrano de Bergerac. La remarque le flatte.
    
    D’une poigne sans réplique et sans cesser une seconde de parler, il me conduit auprès de Blafard et Tiédasse à bord du lourd véhicule. Tout en conduisant virilement, à la limite toujours de la sortie de route, il défend avec la volubilité qui est la sienne le bien-fondé de cette expédition :
    
    — Tu comprends, fils, tu comprends qu’aucun homme, moi y compris, n’est capable seul de mener une guerre contre la Société. Mais la nature humaine, Jean, la nature humaine ! Les gens sont ainsi et tu ne les changeras pas. Certains n’ont vu dans ce combat qu’une égoïste occasion de profit personnel. Attention, je ne dis pas que je m’oppose à tout bénéfice, n’est-ce pas ? Toute peine, même la guerre la plus noble, celle que je mène, mérite salaire. Tu me comprends ?
    
    Il se tourne dans ma direction pour ...
    ... me prendre à témoin. La voiture effectue une brutale embardée. Il s’esclaffe, indifférent au danger.
    
    — Nous sommes des hommes ! S’il existe des saints, ils ne sont pas ici. Mais tout de même, Jean. Tout de même, il faut rendre à César ce qui lui appartient.
    — Ou à Louis Manderin ce qui est à lui ?
    
    Je n’ai pas résisté au bonheur de lâcher cette phrase. Un instant nous manquons crever le décor. L’odeur du caoutchouc brûlé flotte contre la portière comme un bouquet de chrysanthèmes. Louis rit à pleine gorge.
    
    — Oh ! Très joli ! Sublime ! Superbe ! Je te reconnais bien là, Jean, mon ami. Comment as-tu dit ? C’est trop beau. Je le retiendrai. Bon, bref, pour conclure ce propos je dirai qu’il faut bien se résigner parfois, sans plaisir… à arracher les mauvaises herbes. Jardinier de l’âme humaine : que dis-tu de cette formule ?
    
    La mauvaise herbe à laquelle il faisait allusion répond au prénom de Roland et surgit avec une grande vélocité d’une boutique de fruits et légumes. Cette vélocité lui a été communiquée par l’application violente d’une chaussure de taille quarante-quatre contre son postérieur. Il roule sur le trottoir. Gentiment, Louis l’aide à se relever.
    
    — Comme te voilà, mon ami, mon frère ! Est-ce raisonnable de se mettre dans des états pareils ? Non, mais regarde-le, Jean ! Regarde-le ! Ça me fait mal de le voir ainsi.
    
    Il le prend par les épaules. Il le tient ferme, ignorant très volontairement les efforts du soi-disant ami pour se dégager.
    
    — Allons, ...
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