1. Jeanne


    Datte: 16/06/2021, Catégories: portrait, Humour Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe

    ... force, je lâche avec le visage approprié : « Ça alors, Louis Manderin. Si je m’attendais ! »
    
    Comme tout le monde, j’ai déjà entendu mentionner ce nom à la télévision, à la radio. Louis Manderin, le « bandit bien aimé », le « Robin des Bois du vingtième siècle »…
    
    Dans les années soixante-dix, les parents de Louis exploitaient une ferme, laquelle fut saisie pour une sotte question de traites impayées. Le garçon jura alors de consacrer sa vie à venger ses parents et il déclara avec une belle assurance, du haut de ses seize ans, « la guerre à l’État Français ».
    
    Au cours des années suivantes, il tint parole, et fit joyeusement flamber quelques perceptions, des bureaux de poste, des véhicules de gendarmerie. Il perturba aussi de son mieux les cérémonies officielles. En même temps, parce qu’il faut bien vivre et que la guerre coûte cher, il se livrait au banditisme le plus ordinaire. Avec le temps, « sa guerre » était passée à l’arrière-plan de ses activités et les extorsions de fonds, le chantage, le racket ne cherchèrent même plus d’alibi. Mais, à ce moment, les médias avaient déjà créé sa légende :
    
    Le bandit bien aimé qui se bat seul contre la Société.
    
    Avec cynisme, avec un indéniable talent, Manderin jouait de cette image. Il aimait la célébrité. Il avait du bagou. Une chaîne de radio lui proposa de fournir une chronique d’actualité : Manderin enregistrait chez lui les cassettes et les faisait parvenir à la chaîne par colis postal. Selon des commentateurs ...
    ... avisés, ses prises de position pesaient fortement sur le résultat des élections : il en riait beaucoup. La République n’avait pas fini d’entendre parler de Louis Manderin !
    
    * *
    
    *
    
    Blafard et Tiédasse ont les plus vilaines têtes de la création. Non, j’exagère. Mais tout de même : de ces têtes que l’on n’aimerait pas croiser par une nuit sans lune au coin d’un bois ou bien encore au bras de sa fille. Naturellement, c’est moi qui les ai baptisés ainsi : faute d’un état civil plus précis et parce que ces noms les décrivent admirablement.
    
    Blafard : minuscule et flasque, entre nain et petit homme. Musclé comme un fla aux pruneaux, le teint trop pâle et le nez trop rouge pour inspirer la curiosité. Quelque chose de malsain dans l’attitude et le regard : sorte de mal-être attentif et méchant.
    
    Tiédasse n’est qu’absence. Il regarde, il parle, un peu, il écoute mais il n’est pas là. Perdu dans quelle rêverie sans fin ? Celui-là offre au monde une tête aux traits bien dessinés, aux beaux yeux clairs, mais si empourprée qu’elle rappelle de façon irrésistible une poire cuite dans du vin.
    
    L’un et l’autre sont descendus voici un instant d’un véhicule tout terrain surgi en trombe dans la cour. Leur déplaisir à trouver un visiteur en compagnie de Louis Manderin brille comme la lune à son plein.
    
    — Patron ?
    
    Un bref conciliabule a lieu dans un coin de la cuisine. Blafard parle avec une certaine animation, tout en me veillant du coin de l’œil. Manderin hoche la tête, pose deux ...
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