1. Michelle


    Datte: 25/03/2021, Catégories: portrait, Humour Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe

    ... oreilles, des yeux canins, brun clair, magnifiques qui sourient. Je l’ai regardée sans rien dire. Je m’étais égaré, la vie m’échappait tout soudain. Elle ne pouvait pas être ce personnage sanglant de l’Araignée. Ses yeux de môme, les mêmes yeux que Michelle. Elle m’expliquera : « j’ai attrapé la haine comme un mauvais rhume ».
    
    Tous assis sur un mur, à un mètre cinquante du sol, comme des noix sur une planche. Francine raconte, parle de l’avenir surtout. Pour elle, « l’Araignée » appartient déjà à son passé. Elle joue avec ses cheveux, un peu comme font les épagneuls avec leurs longues oreilles. Elle joue à cacher ses yeux. Cette nuit-là, après le bain de minuit où toute la bande plonge en gueulant dans les vagues, Francine et Michelle parleront longtemps.
    
    À cette époque ou un peu avant, François Ravelais fait un choix longuement pesé : abandonner le combat qu’il mène depuis deux ans contre le cancer. Edmond, le médecin qui l’a accompagné tout au long, Edmond dont l’humour à froid m’a plutôt secoué à de nombreuses reprises, lui a promis « six mois à peu près » à poser en parallèle à « un peu plus d’un an peut-être » au prix de soins intensifs et invalidants.
    
    Un temps, François joue avec le projet d’une émission de télévision. Il y renoncera finalement, craignant de n’être pas à la hauteur de sa réputation de polémiste virulent.
    
    Il rêve du grand large, m’appelle un matin.
    
    Huit mètres de long, une finesse de mouette : Hoedik nous attend dans le port de Vannes. ...
    ... La promenade, huit jours à l’origine, en durera quinze, puis un mois, puis deux. Personne d’averti. La presse nous donne pour morts.
    
    François s’endort au large des Canaries. Selon sa volonté, Hoedik deviendra propriété d’une association d’aide à l’enfance déshéritée. Les mois qui suivent mon retour dans le monde des hommes me fourniront maintes occasions d’envier la paix de mon vieux maître. Les suites de cette parenthèse océanique prennent un côté kafkaïen : défaut de visa pour nous rendre d’ici à là, pour poser le pied sur cette terre ou croiser au large de telle autre, apercevoir tel phare ; non-respect du droit maritime et « pouvez-vous justifier des salaires versés à ce matelot embauché à Saint-Domingue ? » Taxes portuaires, déclarations, assurances ou défaut d’assurances. Le décès et les funérailles de François somment cet acte d’accusation en croissance exponentielle : « un médecin a-t-il constaté le décès, signé un permis d’inhumer ? »
    
    Lorsque je révélerai que, selon sa volonté, François a été incinéré sur une plage, la silhouette de la guillotine se dessinera dans les prunelles de mon vis-à-vis.
    
    « L’affaire » s’étalera paresseusement sur plusieurs années. Parallèlement, la Justice tend dans ma direction un index accusateur, un de plus : « Jean de Sordon, avez-vous clandestinement rencontré la criminelle Francine Billon, tel jour, en compagnie de la jeune Michelle, mineure au moment des faits ? »
    
    Le moyen, je vous le demande, de répondre faussement à une ...
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