1. Michelle


    Datte: 25/03/2021, Catégories: portrait, Humour Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe

    ... salon d’une solide bourrade entre les deux épaules. Je suis surpris de découvrir là l’écrivain Jean-Jean Blondeau.
    
    Celui que l’un de mes amis appelle « ce Suisse et ce sot bout à bout » est un homme imprévisible. D’aucuns, plus méchamment, le déclarent incohérent. Ce tiède défenseur des valeurs d’un catholicisme absolutiste, heureusement déclinant, aurait-il viré de bord pour épouser notre vision libertaire de l’existence ? Bonne nouvelle. Elle tendrait à prouver que les imbéciles sont capables d’évoluer. Mais ensuite ? Tâtera-t-il du bouddhisme ? Se convertira-t-il à l’islam ? Je le tiens capable de tous les revirements à la suite. Je ressens un malaise presque physique en face de tels personnages torturés intérieurement, contournés, noueux.
    
    Gilbert décapsule deux bières avec les dents, crachant sur le sol les bouchons. Il m’en tend une, s’envoie un long trait de bière derrière la glotte. Le liquide coule et mousse dans sa barbe épaisse. Il rote.
    
    — J’ai quitté Rome un peu vite. Je commençais à être fatigué, tu vois ? Non, ce n’est pas tout à fait vrai. Je me suis aussi un peu accroché avec un con, un con qui était aussi un monsieur très important : les deux ne sont malheureusement pas incompatibles, comme tu sais.
    
    Du fond de son exil romain, Gilbert a tout de même eu l’occasion de lire mon premier roman publié sous le pseudonyme assez transparent de Jean d’O.
    
    Helvétique et profonde stupéfaction de Jean-Jean Blondeau : « Jean d’O., c’est toi ? ». Je ...
    ... confirme.
    
    Gilbert décapite une nouvelle bière, jure parce que l’aluminium vient de lui griffer la lèvre. Le petit renard entre silencieusement, obliquement, évitant mon regard. Gilbert tend le bras, attire à lui sa sœur, pose une main protectrice sur son torse, enfouit ses lèvres dans ses cheveux.
    
    — Le premier qui y touche, je le réduis en poudre, j’en fais de la pâtée pour chien, de la bouillie, je le tartine contre le mur.
    
    Michèle se tortille pour échapper à ses grosses pattes.
    
    — Tu me tiens chaud… Lâche-moi, tu veux ?
    
    Elle va s’asseoir dans l’un des fauteuils, les talons sous les fesses, les bras enserrant ses genoux relevés. Gilbert, avachi sur le bord de la table, essore d’un geste devenu machinal son épaisse barbe.
    
    — Ma petite sœur chérie. Elle est devenue rudement jolie pas vrai ? Sûr que tu aimerais bien, hein, Jean, vieux forban ? Tu aimerais bien frotter sa jolie peau si douce. Tous des chiens en quête de chair fraîche !
    — Tu divagues ! Je ne toucherais jamais la sœur d’un ami.
    — Et tu feras bien. Ouais, tu feras bien ! Que tu me la salisses, je serais capable de te tuer malgré que tu es un ami ou justement parce que tu es un ami. Ma petite sœur chérie nous fait le coup de la dépression, confie-t-il avec une pesante ironie. Mademoiselle est amoureuse, figure-toi, eh oui. Sauvage passion… Elle a décidé dans sa petite âme que ce serait lui, lui, LUI et personne d’autre. L’élu, l’unique. L’Homme…
    — J’ai bien le droit de vivre ma vie, non ? riposte le petit ...
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