1. Revendication de l'Aube


    Datte: 01/12/2025, Catégories: #société, #policier, fh, Auteur: Samir Erwan, Source: Revebebe

    ... monde entier entre moi et elle. J’ai allumé une cigarette que je n’avais pas envie de fumer. Et je me suis répété : traîtresse.
    
    Elle l’avait charmé, cet enfoiré d’Axel Roth. Le bâtisseur. Le pilleur. Celui qui a fait pousser de l’apparat luxueux sur des terres volées. Celui qui a rasé les ruines de nos histoires pour poser des spas et des lounges en bois clair. Et elle ? Elle lui offrait son rire. Son silence. Son parfum.
    
    *
    
    Plus tard dans la semaine, j’ai croisé Hakim dans l’arrière-cour du palace. Il m’a tendu une cigarette. Une vraie. Pas de celles qui se fument entre deux services. Une clope de campement. Une clope de révolte. On a parlé peu. Juste assez. Il a vu ce que j’avais vu. Et quand il m’a soufflé, les yeux mi-clos :
    
    — Tu veux qu’on la bute ?
    
    Je n’ai pas répondu tout de suite. J’ai tiré une taffe. Lentement. Le vent de mer me ramenait l’odeur de la piscine, des algues et de la splendeur. Je l’ai regardé un instant, puis j’ai dit :
    
    — Elle couche peut-être avec Roth. Mais c’est pas ça le plus grave.
    
    Il a cligné des yeux :
    
    — C’est quoi, alors ?
    
    Je n’ai pas répondu. Parce que je ne voulais pas dire ce que je pensais. Que j’aurais voulu être à la place de Roth. Une nuit, juste une nuit. Alors j’ai dit :
    
    — Attendons.
    
    Et j’ai écrasé ma clope du pied, par terre, à côté du cendrier prévu.
    
    *
    
    Sahar a fini par s’installer chez lui. Pas dans une suite comme les autres, non. Dans son étage privé, celui qu’on nettoie quand il est absent, ...
    ... celui dont même les directeurs n’approchent qu’à pas mesurés. Je l’ai vu passer de la plage aux cocktails, des dîners discrets aux galas officiels. Toujours à ses côtés. Toujours à la bonne distance. Ni trop proche, ni trop soumise. Elle savait se tenir. Elle s’est coulée dans le rôle comme on entre dans une peau faite sur mesure.
    
    Je la regardais devenir l’épouse invisible, la favorite non déclarée. La presse chuchotait. Le personnel murmurait. Elle n’avait ni titre ni fonction. Mais elle était là. Toujours. Superbe. Désirée. Et c’était suffisant.
    
    Au début, je croyais qu’elle jouait la carte du confort. Qu’elle s’était vendue contre la douceur des draps en soie, les montres offertes sans raison, les silences protégés par les murs insonorisés. Mais plus je l’observais, moins je voyais de plaisir dans ses gestes. Elle souriait, oui. Elle s’inclinait. Elle riait parfois.
    
    Mais dans ses yeux, rien. Roth devait tout voir. Pas moi. Et c’est ce qui me tuait.
    
    Parce que j’ai questionné des amis, des anciens, et ils se souvenaient d’elle vivante. Ils m’ont dit qu’elle était rieuse, intense, indomptée. Et maintenant, elle n’était plus qu’une ombre bien habillée. Un vernis. Une étrangère maquillée pour servir les intérêts d’un homme qui vendait le monde mètre carré par mètre carré. Je la voyais marcher dans les couloirs du palace, robe ivoire, escarpins silencieux. Parfois, elle portait un tailleur noir qu’elle aurait pu voler à une diplomate.
    
    Un soir, ils ont organisé un bal ...
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