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Revendication de l'Aube
Datte: 01/12/2025, Catégories: #société, #policier, fh, Auteur: Samir Erwan, Source: Revebebe
... d’une fine tranche de citron. Il le saisit, l’observe une seconde, apprécie la perfection du service, puis boit une gorgée lente. Un frisson glacé descend le long de sa gorge. Je souris, mais il ne me voit pas. Je pars vers un couple me hélant. Axel Roth a la cinquantaine passée et porte son embonpoint comme un trophée, signe de puissance plutôt que signe de laisser-aller. Son corps, épais et solide, est celui d’un homme qui n’a jamais eu à courir pour survivre. Sa peau trop bronzée a cette teinte artificielle des hommes qui passent plus de temps sur le pont de leurs yachts que dans un bureau. Ses cheveux, blonds, presque blancs maintenant, soigneusement coiffés vers l’arrière, sont figés par des produits invisibles. Ses yeux bleu pâle et froid ont cette lueur d’arrogance, ce regard qui ne voit pas vraiment les gens, seulement leur utilité. D’ailleurs, son sourire de commercial large et confiant n’atteint jamais ses yeux. Et quand il parle, sa voix est un mélange de condescendance et de certitude absolue. Il ne pose jamais de questions, il énonce des faits. Il n’a jamais eu besoin de douter. Toujours vêtu de chemises hors de prix légèrement trop serrées sur son ventre, il dégage l’odeur de l’argent, du pouvoir et de l’excès. Axel Roth est un homme qui a tout et qui croit que rien ne pourra jamais lui être pris. Sale fils de chien, me dis-je en le regardant de loin, alors que je dessers une table vide. Il est au sommet. Partout, on le respecte, on le craint, on ...
... l’admire. Un mot de lui suffit à faire plier des fortunes, à façonner des politiques. Les faibles lui inspirent un mépris amusé : qui, aujourd’hui, choisit encore la médiocrité ? Roth ricane intérieurement tous les jours. Travailler, savoir prendre des risques, comprendre et réorganiser les règles – voilà tout ce qu’il faut. Ceux qui échouent n’ont qu’eux-mêmes à blâmer. Il s’enfonce un peu plus dans son transat, pleinement satisfait. Axel Roth aime dire qu’il est un homme qui s’est fait seul. C’est faux. Son histoire n’a rien d’un conte de self-made-man. Elle commence bien avant lui, à un temps où sa famille ne s’appelait pas ainsi. Son vrai nom portait des syllabes rugueuses, venues d’un autre siècle, d’un autre monde. Un nom d’Europe de l’Est, peut-être d’Allemagne, d’Autriche, de Russie, un nom qui sentait la terre, les usines, le fer et la suie. Mais les Roth n’ont jamais voulu appartenir aux petites gens. Au fil des guerres, des alliances et des ruines, ils se sont adaptés. Ils ont changé de pays comme on change de costume, abandonnant les syllabes trop lourdes, trop marquées. Le « Von » aristocratique ? Supprimé. Les consonnes trop complexes ? Lissées. Les racines qu’on pourrait retracer ? Coupées. Un jour, ils sont devenus « Roth ». Court. Net. Américain. Un nom qui claque, qu’on peut graver sur le marbre des buildings, qui sonne comme une évidence. Axel est né avec ce nom déjà poli, déjà prêt à régner. Il croit qu’il représente l’audace et la modernité. En ...