1. Les sentinelles


    Datte: 21/02/2018, Auteur: HugoH, Source: Revebebe

    ... peur du monde.
    
    Quels refuges autres que le cabinet d’un psy ? Les hommes et les femmes courent sous la pluie acide. Le monde chargé d’énergie. Le monde qui ne dort jamais. Tant et tant qui gardent les yeux ouverts en attendant le matin. L’insomnie générale.
    
    D’où vient ce manque de sommeil ? se demande-t-elle en bonne professionnelle.
    
    Où vont toutes ces heures perdues ?
    
    Pas de réponse / Mille réponses. Les peurs et les angoisses encore et encore. À l’intérieur, la fatigue. Partout, presque palpable. Elle aimerait, certaines fois, être un chirurgien qui se lave les mains à l’antiseptique après avoir enlevé un rein ou un poumon. Mais dans son cas à elle, la merde reste bien en place, bien en vue, bien au contact.
    
    — Je ne cèderai pas de toute façon, dit Madame R., je veux ce poste, pourquoi m’échapperait-il, parce que je suis une fille ?
    — Une fille ou une femme ? relève Christine.
    
    La patiente sourit, gênée.
    
    — Une femme, je veux dire une femme.
    
    Le temps est passé vite dans ce petit cabinet. Elle aura bientôt trente-cinq ans et nul ne saurait dire, dans le cadre formel de l’analyse, son âge. Pas comme cette femme, là devant elle, qui porte si bien le tailleur et dont l’arrogante poitrine se joue savamment des plis de son chemisier en satin.
    
    Salope.
    
    Elle secoue la tête très lentement. 18 heures 27. La séance lui échappe. Sa nuque se raidit subtilement.
    
    Les mains sur ses genoux, comme une statue antique, elle masque son trouble. Ce n’est pas la ...
    ... première fois. Cela fait un petit bout de temps que certaines fins de journées deviennent des petites luttes de ce genre. Ce n’est pas elle. C’est l’extérieur. Il faudrait qu’elle revoie sa planification à l’avenir.
    
    — J’ai tellement de mal à dire les choses, soupire madame R.
    
    Christine laisse passer un silence.
    
    — Et nous nous arrêterons là pour aujourd’hui.
    
    Dans sa tête, mille voix soupirent, épuisées.
    
    Elle frémit lorsqu’on sonne à la porte. Consulte son agenda. Monsieur K. Monsieur K. à 19 heures.
    
    Elle l’a oublié. Est-ce que c’est possible ? Est-ce qu’il est possible d’oublier un patient ? Et en plus il est à l’heure.
    
    Christine sent les prémices d’une terrifiante migraine. Avale deux cachets. Se lève, augurant du léger relâchement que vont provoquer les triptans. Qu’est-ce qu’ils ont tous à être à l’heure aujourd’hui ?
    
    C’est vraiment le grand moment de la journée ? Oui, ça l’est. Il faut s’y résoudre.
    
    Elle enclenche son magnétophone. Ancienne école. Loin du numérique. Enregistre les séances à leur insu. Elle ne devrait pas mais c’est ce qu’elle fait. Parce que son esprit ne peut pas tout retenir. Bien qu’il s’en imprègne. Bien qu’elle en subisse le contrecoup. Ses cauchemars. Ses cauchemars, surtout ces derniers temps.
    
    Qu’est-ce qu’ils croient tous ces gens, que ça entre et que ça ressort ? pense-t-elle en ouvrant la porte. Comment résister à cette pression, à ces vagues de problèmes qui s’écrasent sur les murs de son cabinet ? Sur ses propres ...
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