1. Les sentinelles


    Datte: 21/02/2018, Auteur: HugoH, Source: Revebebe

    ... du cabinet.
    
    Si ça ne tenait qu’à elle, un simple miroir suffirait, comme le veut l’usage, le vieil usage. Le patient qui parle au patient. Dans le couloir, la jeune femme a tendu la main à Christine.
    
    — On se dit au revoir ? a-t-elle souri.
    
    Et Christine l’a froidement regardée sans ciller.
    
    — Au revoir, Mademoiselle, a-t-elle dit en ouvrant la porte puis la refermant sur les épaules basses de sa patiente.
    
    Elle n’est pas leur confidente. Pas leur amie. Pas quelqu’un qu’ils pourraient voir en dehors. À qui ils serreraient la main dans la rue. Paieraient une bière. Tailleraient le bout de gras. Elle n’est pas celle-là. Pas pour eux.
    
    L’homme, Monsieur T., poursuit son monologue. En quelques séances il s’est relâché. Et sa consommation excessive et non régulée d’anxiolytiques avouée, les pistes, nombreuses, se sont ouvertes. Il a peur, souvent, lui dit-il. Peur de tout.
    
    — Une peur ou une angoisse ? demande-t-elle.
    
    Il hésite.
    
    — Une angoisse, tranche-t-il.
    
    L’intérêt n’est pas sa réponse mais le cheminement de ses paroles dans son propre esprit. La nuit, durant le sommeil, le jour, durant le travail, tout le temps. Les mots libèrent les mots. Tendance au rabaissement, mauvaise image de soi, perte de confiance. Stress. Angoisses encore : du vide, de la mort, de la vieillesse, de la consternante inanité des existences.
    
    Le gouffre terrifiant de la dépression.
    
    Heureux peuples occidentaux, heureux trentenaires, heureux quadras, qui n’ont connu ni la ...
    ... guerre ni la famine. Alors même que se profile le vide d’une existence si matérielle, les enfants faits, la carrière entamée, alors même que se transpose en eux, dociles calques, le destin raté de leurs parents, un peu amélioré certes, un peu modifié, juste un peu, et que sur les mêmes chemins balisés ils avancent, l’angoisse pointe sa lumière noire sur leur désormais vulnérable existence. Brutal. Le monde sécurisé a un prix, accouche d’un mal étrange qui ronge les âmes.
    
    Vingt pour cent des populations industrialisées ont connu de sérieux troubles du comportement au cours de leur existence. Ça rampe / Ça gagne du terrain.
    
    Elle imagine une société entière en dépression. Quelquefois elle pense que personne ne sera plus capable de se lever. Son agenda est plein. Chaque semaine amène de nouveaux patients / clients (Pourquoi nier ce rapport à l’argent ? Pourquoi a-elle tant de mal à les nommer ainsi ?) qui viennent grossir sa moribonde légion.
    
    L’ère post-industrielle est une manne, un filon qui ne fait que grossir. Il s’agit juste de laisser la porte entrouverte et de laisser entrer les billets.
    
    Mais Christine refusera bientôt du monde. Il faut qu’elle pense à elle. Elle frotte ses mains vierges de bague. Il faut qu’elle y pense.
    
    — Ce monde, ce monde est tellement dur, soupire Monsieur T.
    
    Qui continue de parler. Et Christine a décidé de le laisser faire, de passer le délai des trente minutes. Malgré sa propre fatigue et la fin de la journée qui vient. C’est son ...
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