Les sentinelles
Datte: 21/02/2018,
Auteur: HugoH, Source: Revebebe
... sur Internet, des hommes s’étranglent aux barreaux des portes de prisons.
Et que dire de la triste constance des insulaires.
Qu’en penser ? Elle imagine des corps lourds se jetant depuis des falaises escarpées dans des océans démontés. Le silence puis les vagues qui avalent les cadavres. Un million. Et combien de tentatives infructueuses ? Dix fois, vingt fois plus ? À combien ça nous amène ? Une fois les chiffres jetés comme des dés sur un tapis, comment savoir qui bluffe et qui ne bluffe pas, donc ? Il y a des chances, vu les chiffres, il y a des possibilités que l’un de ses patients franchisse le pas.
Lui ? Monsieur M. ? Pourquoi pas ? Et qu’est-ce qu’elle peut bien faire pour l’en empêcher ? Qui est-elle pour stopper le carnage ?
Christine déglutit. Quelle journée de merde. C’est dur aujourd’hui, vraiment.
— Qui m’attend ? dit Monsieur M. Qui m’attend, répète-t-il. Qui peut bien m’attendre ? Ce bonheur qui miroite, je ne sais pas où il se trouve, ni même s’il existe vraiment.
Bonheur, le mot revient souvent. C’est stupéfiant cette idée fixe. Qui donc a bien pu rentrer dans l’esprit humain l’idée qu’il pouvait être heureux ? À quand remonte cette foutue chimère ? Tout le monde court après un état qui n’existe pas. Et s’ils ne l’atteignent pas, au moins souhaitent-ils en présenter la façade. Derrière, ça coince, ça se fendille.
Elle enchaîne avec Madame R., mais les mots de Monsieur M. occupent encore l’espace. Désagréable. Elle éprouve les pires ...
... peines à se concentrer.
Madame R. : quarantaine, présente bien, attitude neutre et professionnelle même dans le cadre de la thérapie. S’exprime avec facilité. Sûre d’elle en apparence. Problèmes d’ordre sexuel à creuser. Relation à la mère à définir. Effet miroir. Ne se manifeste qu’en fonction de son environnement. Personnalité décadrée. Voilà ce qu’on peut lire sur le petit carnet vert de Christine au sujet de Madame R. Premières notes, premières impressions. Cela s’est révélé assez juste.
C’est la dernière patiente de la dernière heure. Elle la suit depuis près de quatre mois. Et l’analyse avance très lentement. Beaucoup de verrous. Beaucoup de tensions. Trop de cachets qui viennent encore freiner chaque effort, chaque mot, chaque petit souffle de vérité qui se faufile entre ses dents blanches et parfaitement alignées. Elle prend soin d’elle. N’exclut pas une forme de séduction dans notre rapport, note Christine.
La grande partie des patients dépose, passée la première séance, toute forme de charme ou de malice sur le palier. C’est la clé du succès de la thérapie.
«Je ne suis pas un être humain, pas totalement. Je ne suis pas un juge. Je ne te trouve ni beau ni laid, ni ennuyeux, ni excitant, ni lâche, ni juste. »
Christine est une chose sur une chaise, qui ne prend la parole que lorsque cela est vraiment nécessaire. La plupart de ses patients n’éveille en elle qu’une vague lassitude. Mêmes problèmes, mêmes tensions, même dégoût de soi, même image négative, même ...