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Le rire de l'Ogre
Datte: 20/11/2018, Catégories: nonéro, portrait, Humour Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe
... obligea mon père à me ramener à la maison, malade et titubant. Nous effectuons le voyage en vis-à-vis. Marie-Pierre a d’abord abordé ces deux heures de promiscuité comme on subit une rencontre un brin ennuyeuse. La conversation, un peu contrainte, promise à ne déboucher sur rien, devient rapidement plus libre. Nous entamons un agréable jeu de la séduction et lorsque nous nous quittons sur la double et sincère promesse de reprendre, poursuivre et approfondir cette relation. À la maison, l’accueil manque de chaleur. Rien que de très prévisible. Aigri par son échec, mon pharmacien de père me sert une leçon de morale version vieille France, qui arracherait à l’Ogre des larmes de rire. Il est question des grands principes et des femmes de mauvaise vie, de mon avenir, de la France, de l’argent, du plaisir facile, du sens des valeurs et de l’usage du préservatif. Par surcroît, mon grand bourgeois de père a mis la main sur mes productions littéraires. Il enrage. — Tu n’as pas honte ? — Non, je n’ai pas honte, le devrais-je ? Le souvenir des étreintes récentes chante encore dans mon sang – l’usage de cette dernière expression trahit encore le poids d’une éducation étriquée. François exprimerait les choses en termes plus colorés. Mais j’acquiesce. Je feins de me rendre aux excellentes raisons développées avec feu par mon géniteur, excellentes raisons de vivre dans la grisaille. En chantant in petto avec Brel que « les bourgeois, c’est comme les cochons. Plus ça devient vieux, plus ça devient… » Cet après-midi, j’ai rendez-vous avec Marie-Pierre.