Le rire de l'Ogre
Datte: 20/11/2018,
Catégories:
nonéro,
portrait,
Humour
Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe
... Il ne manque jamais la messe dominicale. Parallèlement, il milite dans des partis extrémistes et racistes.
Entre deux « bordées », quelques heures de calme : François parcourt mes premières tentatives d’écriture, sourit, s’exprime avec une franchise brutale mais rassurante. « Tout cela ne vaut pas grand chose, mon garçon, mais tu débutes. Tu dois encore te forger un imaginaire, trouver ta manière. Je peux t’aider si tu ne crains pas d’entendre des avis désagréables. ».
Comme prévu, Pa a perdu les élections. Je n’en éprouve pas une ombre de tristesse filiale, plutôt du soulagement : la démocratie fonctionne, elle a offert le fauteuil de maire à celui qui possédait un projet et le désir d’agir. À un homme vivant.
Un sous-titre possible : Retour à Château-Thierry et au morne silence d’une élection perdue.
François m’a quitté sur le quai de Paris-Lyon. Souffrant de l’estomac de façon plus ou moins continue depuis quelques semaines, il vient de se résoudre à subir des examens qui décèleront un cancer à un stade déjà avancé.
Ces quelques jours de « ribouldingue » seront, plus ou moins, sa dernière folie. Ensuite, les soins, la fatigue lui imposeront une sagesse contre-nature. Je connais ses réticences (litote : le terme phobie conviendrait davantage) face aux plus banales investigations médicales.
Ses assurances plusieurs fois répétées que je ne dois pas m’inquiéter m’ancrent tout au contraire dans la certitude d’une maladie grave. Tout comme la manière dont il ...
... me charge de transmettre ses excuses à mon père. « Je l’ai un peu charrié, c’est dans ma nature. De toutes façons, mon soutien ne lui aurait rien apporté » Nous sourions sans mots aux souvenirs communs de ce séjour : un grand souffle frais dans l’austère demeure.
Au moment où se ferment les portes du train, il me serre le bras fortement. « Ne les laisse pas te bouffer, fils. Ta vie t’appartient, ne l’oublie jamais ».
La porte nous sépare, coupant la fin de sa phrase. A-t-il dit « le fils que je n’aurai jamais » ? Lorsque je le reverrai, il ne gardera pas le souvenir de ce propos.
Marie-Pierre, enfin.
Le train quitte la gare au ralenti. Je traverse la voiture en proie à des sentiments confus, pénibles, m’écarte assez machinalement pour céder le passage à une femme. « Bonjour, monsieur de Sordon »
J’ouvre les yeux sur le monde extérieur. Marie-Pierre Queguiner. Elle est tout à la fois une adorable personne dans la vingt-cinquaine et l’épouse du nouveau maire de Château-Thierry. Deux qualités incompatibles selon moi : sa jeunesse, sa joliesse s’accordent mal aux plus de cinquante hivers de son influent, bedonnant et politique époux.
Marie-Pierre, je la connais pour l’avoir rencontrée à deux reprises lors d’ennuyeuses réceptions à l’Hôtel de Ville. À cette époque, deux semaines plus tôt, j’étais encore un enfant. Elle m’a attiré dès le premier regard mais comment oser l’aborder ? L’alcool me parut une source possible d’aplomb et de folie. Ce médicament, mal dosé, ...