1. Rencontre de l'Ange


    Datte: 04/02/2018, Catégories: amour, nonéro, Auteur: Igitur, Source: Revebebe

    ... extraire de ma poche mon vieux téléphone portable en m’étonnant un peu, tout de même, que depuis l’explosion il n’eût pas vibré.
    
    En l’extirpant, je ressentis une violente douleur à la cuisse. L’appareil avait rendu l’âme, un morceau de béton, sans doute, que la bombe avait projeté, l’avait presque coupé en deux ; ce qui m’avait également passablement esquinté la cuisse. Pour la première fois dans cette aventure, l’idée de ma propre mort m’envahit, accompagnée par un cortège d’images d’impacts de projectiles sur des membres, des têtes, de femmes, d’hommes, d’enfants. J’ai fermé les yeux pour les chasser, mais les images continuaient de défiler, précises comme des souvenirs. Des souvenirs. Bien sûr. Le trou noir n’était qu’un subterfuge de mon esprit, j’avais vu tout ce que je revoyais. J’avais senti l’odeur du sang. J’avais eu dans la bouche le goût du béton et de la pierre en poussière. J’avais ressenti les picotements de la pénétration dans ma chair de centaines de petits fragments métallique de la bombe « sale ». Quel imbécile a inventé cette connerie ? Comme si une bombe pouvait être propre.
    
    Lorsqu’une infirmière est venue me chercher pour me conduire dans la salle d’examen que venait de quitter le corps sans vie du jeune garçon que sa mère avait si violemment pleuré, je me souvenais de tout. Enfin, il me semblait que je me souvenais de tout. Quel tour ma mémoire pouvait-elle encore me jouer ?
    
    Petit à petit je pris conscience que j’étais en train de regarder ...
    ... fixement mon infirmière, elle était le premier être humain que j’observais depuis la bombe.
    
    Elle avait un sourire plein de compassion sur un visage tendu de fatigue. Ses yeux rouges au bord des larmes rappelèrent à ma mémoire incontrôlable les images de mort. J’ai fait un effort surhumain pour sourire et murmurer
    
    — Ça doit être dur ?
    
    Pas génial comme entrée en matière, mais je serrais les dents pour ne pas pleurer. Elle a hoché imperceptiblement la tête et a dirigé mon lit avec dextérité parmi les obstacles en évitant mon regard. Elle était belle de vie, ça me rassurait.
    
    Dans la salle de soin, l’infirmière était toute attention envers le jeune médecin qui avait l’air gêné de me poser des questions sur les circonstances de « l’accident ». Visiblement pas à l’aise avec les traumatismes de guerre, il regardait mes jambes constellées de petites plaies avec l’air ahuri d’un étudiant en médecine devant son premier cadavre. Il avait épongé le sang avec force compresses stériles sur une douzaine de plaies lorsqu’un vieux toubib est entré, avec la démarche lourde et chaloupée du baroudeur. L’infirmière a eu l’air soulagé. Le jeune médicastre s’est effacé devant son maître qui n’a pas semblé le voir. Sans autres formes d’auscultation, il a lâché :
    
    — À la radio.
    
    Avant de ressortir du même pas lourd sans un mot pour le blessé, la victime, enfin moi. Le jeune médecin avait, lui, lâché à mon intention :
    
    — Je vous revois plus tard.
    
    Avant d’aller éponger d’autres ...
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