1. Rencontre de l'Ange


    Datte: 04/02/2018, Catégories: amour, nonéro, Auteur: Igitur, Source: Revebebe

    ... ne me semble pas que ce fut de douleur. Autour de nous des ambulances partaient en trombe, aussitôt remplacées par d’autres. Je me suis retrouvé allongé dans ce véhicule, ballotté sur mon brancard, toutes sirènes hurlantes.
    
    Depuis que le secouriste m’avait pris par les épaules, j’avais abandonné toute velléité d’autonomie. Mes yeux fixes ne voyaient pas ce qu’ils regardaient, dans mon esprit des images passaient qui n’arrivaient pas à reconstituer le fil des événements des derniers instants. Je laissais à d’autres volontés les décisions de mon existence déchirée.
    
    La vie était devenue une substance fluide et dense qui me portait et des images sans suite défilaient. De temps à autre la conscience de la réalité m’enserrait le cœur, elle me murmurait« ce sont les images de ta vie », et la terreur venait, sourde, profonde. Les images ne résistaient cependant pas longtemps à l’abandon de toute volonté. J’apprenais à les laisser flotter autour de moi avec indifférence.
    
    À l’hôpital, je fus relégué dans un couloir surchargé de lits de blessés, attendant que les « priorités absolues » fussent traitées, geignant faiblement, navigant comme moi entre douleur et somnolence dans un torrent d’images absurdes. Celui qui luttait le plus contre les images s’agitait, se cabrait criait pour qu’on le soigne en priorité, accumulait les témoignages de son importance : on l’attendait ici, là ça ne pourrait pas fonctionner sans lui et« vous ne savez pas à qui vous avez affaire ! »
    
    — Ta ...
    ... gueule poivrot, lança un clochard qui n’avait rien à voir avec l’attentat, croyant avoir affaire à un des siens.
    
    Intérieurement ça m’a tiré un grand rire que de voir ce fat rabroué de la sorte. Fatale erreur que cet instant d’ironie, il ouvrit une brèche par où passa un poing de béton qui explosa le sourire d’une jeune fille, sourire en forme d’invitation que je n’honorerai jamais.
    
    Un long hurlement accompagna l’annonce du décès d’un enfant. La femme qui s’effondrait dans une salle proche de mon lit était arrivée quelques instants auparavant l’air angoissé, en répétant sans cesse :
    
    — Où il est ? Où il est ? Où il est ?
    
    Elle est ressortie en larmes, titubant, psalmodiant en hurlant une litanie sur son enfant mort dans laquelle se mélangeaient prières et imprécation, moitié en français, moitié en portugais. Soutenue par deux infirmiers, elle était accompagnée par une psychologue revêtue de la chasuble estampillée « CUMP ». Les fameuses cellules d’urgence médico-psychologiques étaient parmi nous. J’entendais un journaliste archétypal déclarer sur un ton rassurant :« Une cellule psychologique a aussitôt été mise en place ».
    
    C’est à ce moment-là seulement que j’ai songé à ma famille. Mes parents, ma sœur avaient-ils commencé à s’inquiéter ? Nous n’avions pas rendez-vous. Je n’avais pas particulièrement de raison de donner de mes nouvelles. Peut-être étaient-ils en train de s’émouvoir du sort des victimes sans se douter que j’en étais. Je me suis contorsionné pour ...
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