La forêt
Datte: 08/09/2018,
Catégories:
nonéro,
aventure,
fantastiqu,
Auteur: Gaed, Source: Revebebe
... avancent, le pas traînard, l’échine courbée comme de vieilles bêtes.
Je vivrai.
Ils geignent les puants ! Ils geignent ! Et bien, qu’ils geignent, qu’ils geignent tant qu’ils peuvent, je ne suis pas des leurs.
Et je cours, cours encore, écarte des corps qui s’effondrent, puis se relèvent invariablement. Femmes, enfants, vieillards, soldats, prêtres, mendiants, princes, peu m’importe qui ils sont. Mes mains agrippent l’air, je m’en saisis et le serre bien précieusement entre mes paumes.
D’un coup, je m’arrête.
Je regarde tous ces corps presque sans vie qui s’avancent en rang, ordonnés comme des esclaves. J’observe bien tous ces visages et je réalise.
Ils sourient.
Ils sourient tous.
Pas un qui ne semble heureux.
Comme si toute crainte avait disparu.
Ils gémissent et ils sourient !
Les déments !
Les déments !
Je reprends ma course jusqu’à ce que le troupeau soit loin, bien loin de moi.
Je m’éveille.
Allongé.
Autour de moi, de la fumée, du sang sur le sol, des plaintes sourdes et partout, partout, l’infâme odeur de la mort. Des cadavres gisent sur un sol humide, rougeoyant sous les cieux lourds. Qu’il pleuve, par pitié qu’il pleuve. Ma poitrine me fait mal, je dresse la tête. Un carreau traverse ma cotte de cuir, là, juste au-dessus du cœur. À côté de moi, à ma droite, gît le corps d’un cheval dont le cou est rompu, la tête complètement retournée.
Ma main.
Ma main gauche tient quelque chose, quelque chose de tiède. Mon ...
... regard remonte le long de mon bras déplié sur le torse d’un homme. Autour de sa gorge, ma paume serre fermement ce qui a été l’objet de ce soldat. La pierre aux reflets de sang s’est détachée de la chaîne à laquelle elle était reliée et a roulé de sa poitrine à ma main. Depuis combien de temps la tiens-je ainsi ?
L’homme.
Je connais le visage de l’homme.
Son visage, ces quatre points en losange sur le front et ce rire sonore qui me revient en mémoire.
Tu es donc resté là-bas. Cette drôle de réflexion me possède un long moment.
Je me traîne maladroitement, pivote sur le côté et vomis. Un peu de sang sort de ma bouche. Mes yeux embués fixent les nuages noirs qui se sont amoncelés.
Il y a quelque chose, un autre visage familier à mes côtés. L’homme est grand, une hallebarde a percé ses entrailles qui se répandent à flots courts et réguliers sur un autre cadavre traversé, lui, par l’épée courte du premier. Ils semblent se regarder, leurs yeux mêlés dans une même interrogation.
Je les connais.
J’étais avec eux au commencement de mon périple.
Des bras me soulèvent d’un coup, j’entends des voix lourdes.
— Il est vivant !
Qui sont-ils ?
— Fouille-le !
On saisit ma main gauche.
— Non, il est des nôtres, transportons-le là-bas, on y verra plus clair.
On me porte, je les entends souffler comme des porcs.
Non, c’est mon souffle.
Nous enjambons des corps et encore des corps ; les pilleurs sont déjà à l’œuvre, fouillant les tuniques et les ...