1. La forêt


    Datte: 08/09/2018, Catégories: nonéro, aventure, fantastiqu, Auteur: Gaed, Source: Revebebe

    ... lentement vers moi et je croise son regard blanc.
    
    — Qu’y a-t-il après le fleuve ? dites-le moi !
    — Pourquoi ne vas-tu pas voir toi-même ?
    
    Sa bouche ne s’ouvre pas, la voix semble venir de partout et de nulle part en même temps.
    
    — Tu es curieux et tu ne veux rien donner, il en est toujours ainsi avec les précoces, ceux qui sont entre les deux mondes.
    — Où suis-je ?
    — Tu le sais bien, tu es à la source, je ne puis t’expliquer ce qui n’est pas. Tu ne sauras rien tant que tu n’auras pas descendu le fleuve.
    — Il y a autre chose après ?
    — Oui.
    — Quoi ?
    — C’est à toi de choisir.
    — Qui êtes-vous ?
    — Quelle importance ?
    
    Elle sort de la maison et referme la porte, me plongeant dans le noir. D’autres voix, dehors, répondent à son chant. Des gémissements aussi, de longues plaintes étouffées, des pas qui trébuchent. Je me dresse sur mes jambes faibles, la tête me tourne, le sol se dérobe, je me rattrape à quelque chose de dur, mais quoi ? Mon souffle est court, mon cœur bat à s’en rompre et le sang dans mes tempes lui donne un écho morbide.
    
    Je veux sentir l’air, respirer l’odeur de la terre, plonger mes mains dans le ventre, sous le sol.
    
    Saisir de la terre.
    
    De la terre entre mes doigts.
    
    De la terre.
    
    Le corridor est long, bien trop long, je titube, je n’y vois rien. Dehors, la meute s’est rapprochée. Je saurai, je saurai.
    
    La porte, je la tire de toutes mes maigres forces, elle grince, grince encore, elle n’en finit plus de s’ouvrir et puis la ...
    ... fraîcheur me happe.
    
    Au loin, il y a une légère lueur, comme une torche mourante dans la pénombre totale.
    
    La peinture, la peinture noire me revient en mémoire. C’est exactement la même scène.
    
    La torche se fait plus vive, les ombres se distinguent, lentement. Maintenant je peux les voir.
    
    Toutes.
    
    Un long cortège bruissant dans l’herbe et la terre humide. Des hommes, des hommes comme moi, des hommes de Dieu, des hommes de guerre. Des femmes aussi.
    
    Des enfants.
    
    Des milliers, le regard vitreux, la peau livide. Certains n’ont plus de tête, d’autres plus de bras. Membres disloqués, visages zébrés de cicatrices, tous exhalent la pourriture, cette senteur putride qui lèche les murs des mourants jusqu’à en incruster chaque parcelle comme s’il ne devait plus rester que cela de nous, une odeur rance, un souffle désagréable et inutile.
    
    Trois vieilles femmes guident le troupeau.
    
    Trois vieilles femmes pareilles à l’autre.
    
    Et toutes trois chantent leur étrange poème.
    
    Toujours le même.
    
    Je me bouche les oreilles, mais le chant s’insinue, fraye son chemin sans se hâter.
    
    Dans la nuit sans lune, je vois venir la mort.
    
    Je vivrai.
    
    Je cours à contre-courant du troupeau, croise les regards vides, le regard des morts, figé. Je fuis dans la forêt et mon nez, ma bouche, mon corps dégagent une buée claire. Les arbres sont hauts, la nuit est opaque et le cortège qui n’en finit pas, qui s‘élargit même et que je traverse de part en part, bousculant les cadavres qui ...