Les Gibets de Savannah - Histoires de Sexe

Les Gibets de Savannah

... a revêtu pour l’occasion la tenue que les filles portent désormais toutes à bord, à savoir ces plus ou moins robes blanches confectionnées à partir des froufrous devenus désormais bien inutiles. Je m’interroge sur ses yeux cernés jusqu’aux oreilles.

— C’est à dire que… En bas, je suis tombée sur deux autres filles… C’est terrible… Dire qu’il aura fallu que ma route croise votre chemin pour que je découvre ça…

Y a pas à dire, aussi haut que l’on soit assis, on ne l’est que sur son cul. Un petit rappel à la réalité ne peut pas faire de mal.

— Vous savez, Duchesse, la vie peut être une chienne, mais elle peut aussi vous faire emprunter des chemins détournés pour vous offrir quelques surprises. Bienvenue à bord.
— Merci… Mais vous pouvez m’expliquer ?
— Vous expliquer quoi ?
— Votre équipage, les filles, tout ça…

Indubitablement – merde, revoilà que je me prends pour un auteur – il ne s’agit plus de la même personne que celle qui est montée à bord trois plombes auparavant. Il y a quelques années, une fille que j’avais rencontrée à Québec dans un bordel du port m’avait dit que le bonheur, c’est parfois simple comme un coup de bite… Mais apparemment, ça marche aussi pour un coup de langue.

Alors, puisqu’elle le demande et qu’en vrai, je n’en ai rien à carrer, je lui raconte notre histoire : comment je me suis fait débarquer que mon navire, comment j’ai récupéré la Belle Éloïse, comment les filles sont arrivées là…

— Vous voulez dire que ce sont des…
— ...

... C’étaient… À bord, ce sont des marins et rien d’autre, et j’entends que vous les traitiez comme telles. C’est clair ?
— Je m’y efforcerai…
— Alors oui, on baise beaucoup à bord de ce rafiot, mais je ne veux plus en entendre parler.
— Et moi, je vais être obligée de me comporter comme elles ?
— À bord, personne n’oblige personne… Moi-même, il n’y a que lorsque je donne des ordres à la manœuvre que je suis le seul maître à bord. Le reste du temps, chacun fait ce qu’il veut de sa vie et de son cul.
— Vous voulez dire que… Je peux aller voir une fille et lui demander de…
— Oui, vous pouvez, mais elle peut aussi vous envoyer bouler si vous n’y mettez pas les formes. Et si vous voulez éviter les emmerdes, essayez aussi les hommes : il y en a de très bien à bord, vous verrez.
— C’est à dire que…
— Votre mari est loin, Duchesse… Et il ne vous sera d’aucun secours.
— Oui, mais…

Le geste qu’elle fait alors, celui d’un ventre qui s’arrondit, est assez explicite… Elle a surtout peur de se retrouver en cloque.

— Demandez aux filles, cela fait des années qu’elles pratiquent et aucune d’entre elles n’a jamais eu de chiard ! Elles vous apprendront et, qui sait, cela pourrait vous être utile lorsque vous reviendrez à une vie normale.
— À ce sujet, quelle est notre destination ?
— Pour le moment, nous faisons cap sur les Caraïbes…
— C’est ce que j’avais cru comprendre… Les Caraïbes, ce n’est pas très loin de la Louisiane…

Pas loin, c’est sûr, surtout quand on ne connaît le monde ...