1. Le fauteuil d'Émilie


    Datte: 04/01/2023, Catégories: médical, revede, Voyeur / Exhib / Nudisme confession, nostalgie, regrets, Auteur: François Bonura, Source: Revebebe

    ... sais pas si je t’en veux pour l’accident, si je t’en veux d’être vivante sans toi.
    
    Ai-je le droit de ressentir du plaisir ? Réponds-moi je t’en supplie…
    
    Dis-moi que tu m’aimes, sinon…
    
    Tu veux toujours pas répondre ? OK, tu l’auras voulu.
    
    Il est pas en blanc, il porte un bleu de travail. Sur son badge on peut lire « François ». Un prénom bien classieux pour un être aussi peu délicat. À côté de son prénom il a rajouté « loves hip hop » au stylo à bille rouge. Bien futile comme révélation, aussi futile que son travail. Je sais que son job n’est qu’alimentaire, mais ce connard contribue à ma dégradation physique. Pour moi il est coupable comme un dealer qui accepte de refourguer sa came. S’il emplissait la machine de brocolis, je lui pardonnerais à moitié, mais c’est loin d’être le cas.
    
    J’aime les rochers Suchard noirs, et les After Eight, mais il remplit les casiers de saloperies écœurantes à l’huile de palme, ça va jusqu’à 228 calories pour 51 grammes. 51 grammes pour un bonheur éphémère de quatre bouchées.
    
    Je devrais détester son regard sur ma poitrine. Pourtant je le laisse regarder, je me surprends même à chercher son attention. Alors quand mes snacks préférés viennent à manquer, je guette sa venue et espère ne pas le louper lors de sa tournée. J’ai guetté ses allées et venues pour organiser mon petit rituel.
    
    François loves hip hop vient deux fois par semaine, le lundi et le jeudi, pas les jours fériés. Malheureusement j’ai une séance de kiné le lundi, ...
    ... parfois ça ne me laisse qu’une seule occasion de le voir, parce qu’on ne sait jamais à quelle heure il arrive. Quand il débarque finalement avec son gros chariot, je roule dans ma chambre comme une dératée, j’enlève ce que je porte à la hâte, et enfile un simple T-shirt blanc, outrageusement échancré. Dès qu’il ouvre le gros distributeur avec une clef spécifique, je m’approche subrepticement. Les pneus du fauteuil crissent sur le sol luisant.
    
    Il pue lui aussi, il pue la misère sexuelle, alors c’est donnant-donnant. Je te laisse me désirer, tu me laisses ressentir ton désir à défaut de pouvoir ressentir autre chose.
    
    C’est comme ça que ça marche. Notre promiscuité dans ce couloir sans fin est délicieusement insoutenable. La tension fait transpirer mes paumes sur les barres scintillantes des roues. Il sent ma présence derrière lui et prend son temps pour fouiller dans mes pensées. Je sais qu’il sait que je sais.
    
    Sans se retourner, il me lance son très incongru :
    
    — Comment va aujourd’hui ?
    
    Sans mot dire je lui tends les pièces que j’aimerais lui jeter à la gueule. Il me sert la came directement sortie d’un carton qu’il ouvre avec un gros cutter orange. La lame acérée s’enfonce dans une bande d’adhésif beige clair. Elle scintille comme une aiguille qui va me procurer ma dose.
    
    J’achète les barres de Mars par trois. J’ai oublié la délicatesse et déchire les emballages avec les dents, comme une sauvage. J’avale les deux premiers comme une ogresse, puis marque une ...