1. Derrière la pluie


    Datte: 26/08/2018, Catégories: nonéro, Auteur: Gaed, Source: Revebebe

    ... l’après-midi complète. Pris dans les ondes tièdes du téléviseur il se sentait mieux. Ça le nourrissait ; sentiment diffus de boire à une fontaine. Il se leva, chercha le répertoire, saisit le téléphone, composa le numéro de sa mère en province. Il y eut une tonalité différente, l’impression étrange de quitter les frontières, ça sonna un long moment, quelqu’un décrocha. La voix de sa mère le saisit au ventre. Des larmes lui montèrent aux yeux. Elle dit « Allo » plusieurs fois. Elle dit encore « Allo, qui est à l’appareil ? ». Mais il lui était impossible de parler. Il raccrocha. Se laissa glisser lentement vers le sol.
    
    Il fouilla des armoires, ressortit des photos : son père et sa mère en vacances, les années qui passaient, l’impression d’entendre un de ces vieux pianos rythmer le ressac ; puis, bientôt, une petite forme, la sienne, devant les jambes de ses parents, son père qui le tenait par les deux bras, comme un petit singe savant. Il lui ressemblait, les mêmes traits, le même air sombre, rentré, quelque chose de séduisant émanait de son visage. Très vite il n’apparût plus sur les clichés. Mort jeune, de façon non naturelle. On n’en parlait qu’à demi-mot dans la famille ; vacances dans les landes d’ouest, ascendance marine, des hommes solides, des femmes dures au mal. Les suicidés là-bas, c’étaient des moins que rien ; pire que des divorcés.
    
    X continua de faire défiler les photos. La pâle silhouette de sa mère dans des lumières mourantes, son air dur et décharné, ...
    ... ses manières d’un autre siècle. Et lui qui grandissait, lui qui se tenait plus fort à ses côtés, endossant les habits de l’absent, lui ressemblant de plus en plus. Cette expression lointaine, ce regard voyageur. Il y avait de la tristesse dans les paysages en contrechamp, de l’herbe rase et courbe à perte de vue ; il reposa les photos.
    
    Sa mère ne lui avait jamais dit ce qui était arrivé, ni pourquoi il avait commis cet acte insensé et désespéré. Désespéré… ça lui sembla logique à nouveau, imparable. À vrai dire, il l’avait appris de la bouche de l’une de ses tantes qui avait commis un impair à table, lors d’un réveillon pesant et glacial comme ils savaient tant les réussir là-bas. Ensuite il avait bien fallu lui expliquer, malgré son jeune âge. Quelques phrases toutes faites, des idiomes plats.
    
    Il l’avait compris, l’avait saisi d’une manière empathique qu’il associait encore aujourd’hui au lien filial, au sang du père dans celui du fils. Ce n’étaient pas des rivages inconnus, il en avait perçu très jeune lui aussi les attirants et dangereux écueils. La perspective des jours à venir le terrassait d’ennui, cette perception qu’il en avait ouvrait des portes sur des chambres opaques, elles-mêmes béantes sur des contrées morbides.
    
    Il est des moments dans l’existence où l’on sait avec précision ce que l’on ne veut pas faire, mais où l’on ignore ce que l’on souhaite. Voir cette branche de dégénérés apathiques se gaver de soupe et de ragoût lui faisait mal au ventre. Il savait ...
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