Derrière la pluie
Datte: 26/08/2018,
Catégories:
nonéro,
Auteur: Gaed, Source: Revebebe
... ville. Ça datait d’avant L, il avait toujours été ainsi, elle n’y avait rien changé.
Il comprenait qu’elle l’ait quitté, rester avec lui n’avait aucun sens. L’ennui guettait ceux qui l’approchaient, même sa mère n’avait jamais su trop bien quoi lui dire. Ce n’était pas volontaire, pas une démarche assumée de sa part, il aurait aimé partager des choses, faire comprendre aux autres qui il était. N’était-ce pas cela l’idée d’existence : montrer à ses semblables qui l’on était, se représenter dans la masse, trouver son rôle, si obscur fût-il ? Il n’y était jamais parvenu, avait trouvé dans la solitude, dans son silence rentré, une forme d’hébergement qui lui convenait fort bien. On ne le voyait pas au travail, ses entretiens annuels devaient donner du mal à ses supérieurs. Quels mots trouver pour qualifier un manque si grand d’investissement personnel ? Comment qualifier un masque aussi désincarné ? Il ne laisserait rien derrière lui, pas même un léger désordre sur son bureau en teck.
Quand L était rentrée dans sa vie, certainement alors, la palette des couleurs s’était-elle agrandie, mais il y avait trop d’étonnement, l’idée que quelqu’un s’intéressât à lui était tellement virtuelle qu’il n’était jamais parvenu à lui donner corps.
Le soir vint, Miles Davis l’aida à s’y installer. Kind of blue, c’était concrètement le bon moment. Le bon moment aussi pour la codéine. Il n’aimait pas vraiment le jazz, ne s’y intéressait que par à-coup, mais ça, c’était autre ...
... chose.
Cette nuit-là il fit un rêve. En était-ce vraiment un ? Il l’ignorait, ce n’étaient que des couleurs, quelque chose de rouge et de chaud, quelque chose qui coulait sur un fond opaque : du sang. Ça le glaça.
Soudain, il eût l’impression de tomber.
Il se réveilla dans la salle de bain, sur le dos. Son t-shirt et son caleçon à portée de main, complètement nu. Il se releva difficilement ; mal au dos, mal dans les articulations ; mal devant, mal derrière. Les néons grésillèrent, déjà vu, son visage spectral le happa dans la glace, ça et le sang qui dégoulinait sur son torse. Il eût un mouvement de recul, le temps de réaliser que c’était bien du sang et que c’était bien son torse. Ses doigts en caressèrent la surface, les entailles étaient nombreuses. Il frissonna. Rien sur le sol, pas d’armes, pas de lames de rasoir. Il regarda longuement ses mains, ses ongles étaient souillés, encrassés largement de chair et de sang séché.
Quelque chose se passait en lui, il fallait qu’il s’écoute. Voir un médecin, peut-être, dès que possible, mais non, non, ça ne l’aiderait pas, lui seul le pouvait, lui seul était apte à se comprendre. Et qui était son médecin ? Qui était son putain de médecin de toute façon ?
Depuis qu’il s’était éveillé dans la salle de bain, une migraine atroce le tenait ; ni la codéine ni le café n’y avaient fait quoique ce soit. Une légère griserie l’envahit malgré tout, c’était déjà ça.
Il resta couché sur le canapé une partie du matin, la matinée entière, ...