1. Derrière la pluie


    Datte: 26/08/2018, Catégories: nonéro, Auteur: Gaed, Source: Revebebe

    Dans une ville de la périphérie, alors que la journée déclinait, il avançait lentement. Ses semelles frottaient les trottoirs sales sans fluidité ni aisance. Il percevait des bruits, des rumeurs dans les ruelles, des odeurs aussi. Les grandes mégalopoles sentent le kebab, c’est l’huile sur le corps des cités. Souvent, ça lui donnait de l’appétit, mais là, ça le dépassait complètement.
    
    C’était la fin de l’été, les jours les plus chauds, comme le sursaut d’un mourant. Le soir s’incrustait dans l’air d’une manière pernicieuse, une drôle de lumière qui ne lui disait rien qui vaille. L’orage viendrait, il l’espérait ; que ça nettoie la ville, que ça nettoie le ciel. C’était l’heure où les gens rentraient chez eux d’un pas goguenard. Pas comme le sien, pas dans son rythme. Il voyait des visages, des suites entières, des suites logiques, cohérentes, mais son esprit, s’il s’en imprégnait, n’en retenait pas la surface. Il passait devant des enseignes lumineuses. De temps à autre il levait les yeux vers le soleil tombant, quelque chose d’orange qui filtrait entre d’épais nuages.
    
    Un grand appartement dans un grand immeuble. Il vivait seul ; à sa retraite, quelques mois plus tôt, sa mère était partie vers sa province natale. Quand il claqua la porte du hall, son regard se posa sur les silhouettes basses qui arpentaient la cour. Il fit un signe, ne comprit pas pourquoi, se ravisa et monta dans l’ascenseur. Le néon n’était plus couvert d’une gaine, ce qui rendait sa lumière moins ...
    ... acceptable, beaucoup moins en fait. Il s’observa, dépité. Il était blanc comme un linge propre. Ce truc du miroir était vicieux, un vrai attrape-mouche. L’épreuve du quotidien dans sa plus parfaite réalisation. Le reflet dans la glace ne le satisfaisait pas, fin, certainement fin, mangé d’une très légère barbe naissante qui se mêlait normalement à la couche de sueur venant de ses tempes et de son front, juste sous les boucles brunes et épaisses de ses cheveux. C’était une tête plutôt agréable si l’on prenait le temps de s’y attarder. Pourtant, à s’y pencher plus avant, quelque chose freinait l’enthousiasme premier. Ça venait du teint, pâle, bien trop pâle. Des cernes sombres tenaient ses yeux. Il avait cet air triste et lointain ; un citadin avisé aurait certainement conclu qu’il s’agissait d’autre chose que la frustration amassée d’une sotte et énième journée. Un citadin avisé aurait conclu que X avait d’autres problèmes, que X semblait très mal dormir. Peut-être une dépendance aux anxiolytiques, peut-être plus. Mais il n’était pas différent des autres, ce reflet ne le satisfaisait pas. Il n’y avait rien de complexe dans l’espèce humaine, un beau visage amenait une belle journée, jusqu’à l’étiolement. Il pouvait mettre la chose sur le compte de l’éclairage blafard, ce qu’il avait appris à faire durant toutes ces années, mais depuis l’incident, son visage se peignait de teintes qu’il ne se connaissait pas ; une gamme inédite. Au travail, on ne se lassait pas de lui dire. Il ne ...
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