1. Derrière la pluie


    Datte: 26/08/2018, Catégories: nonéro, Auteur: Gaed, Source: Revebebe

    ... se traîna jusqu’à sa chambre, traversant le couloir avec une drôle d’inquiétude dans le regard.
    
    L avait vécu quelques temps ici, il s’était habitué à sa présence. Maintenant qu’il était seul, cet appartement lui semblait bien trop grand. Il se coucha, avala deux bâtonnets d’anxiolytique, commença un nouveau chapitre du Hugo. Les lignes, après quelques instants, se mirent à danser devant ses yeux. Il aimait cet effet de la chimie, la peur qui s’effaçait, l’angoisse qui se voûtait sous le poids du sommeil. Dans la pénombre de l’assoupissement vint se greffer le visage de l’enfant défiguré du roman, il lui souriait, de ce sourire qui lui prenait la moitié du visage jusqu’aux oreilles.
    
    Ensuite il n’y eut que le noir.
    
    Ce fût une sorte de chute, un vertige normalement commun à l’endormissement, qui le réveilla d’un coup. Il ouvrit les yeux, pris de panique, c’était tout aussi opaque avec les paupières béantes. Il lui fallut un peu de temps pour comprendre qu’il se tenait dans la salle de bain, le dos nu sur le carrelage bleu. Son cœur battait vite ; il avait peur, murmurait des mots incompréhensibles. Un drôle de bruit tenait la pièce, quelqu’un sifflant dans une canalisation, un truc comme ça.
    
    Il se releva, alluma la lumière ; le néon grésilla, puis une lumière blanche et forte écrasa la pièce. Il cligna des yeux, les rouvrit pour se découvrir entièrement nu dans le miroir. Bon Dieu, il était pâle, si pâle qu’il se faisait honte ; et ses côtes, son torse si maigre. ...
    ... Qu’était-il devenu ? Ça ne pouvait être seulement elle, non, ça ne pouvait être que ça.
    
    La pluie vint avec le matin, une averse lourde portée par un vent fort et lointain. Des éclairs zébraient le ciel noirci par l’enjeu, au loin, les tours du quartier d’affaires disparaissaient dans des brumes lourdes ; il en ressentit un profond contentement. Il se tenait droit devant la baie, un café à la main, l’un des rares plaisirs qu’il goûtait encore. La ville et la pluie étaient comme frère et sœur. En bas il voyait des parapluies traverser des rues saturées de voitures aux phares allumés. Il ne percevait pas le bruit ; trop haut, trop isolé. C’était comme une peinture mouvante. Le jour dans la nuit, la nuit dans le jour. Il réfléchissait à plusieurs faits : ces sorties nocturnes, ces petites crises de somnambulisme. Ça lui était déjà arrivé, plus jeune, après la mort de son père. Ça devait faire partie du processus aujourd’hui, ça devait expliquer pourquoi il se sentait si mal. Il fallait qu’il écoutât ce que lui disaient ses nuits, son sommeil, son esprit.
    
    La journée s’alanguissait sur le coup des dix-sept heures. Il détestait ce moment, cette plage triste qui menait jusqu’au journal télévisé. Il ressentait une tristesse sourde, un facteur bloquant qui ne lui permettait rien d’autre qu’une vague contemplation du mobilier alentour. C’était une heure mauvaise, la fin du jour, les germes de la petite mort. La pluie s’était transformée en un crachin grisâtre, on se serait cru en ...
«12...456...15»