Derrière la pluie
Datte: 26/08/2018,
Catégories:
nonéro,
Auteur: Gaed, Source: Revebebe
... Du jazz, rien que du jazz. Il en dépoussiéra un et le plaça sur la platine. Grésillement, diamant usé, le son d’une époque. Duke Ellington : Latin American suite, des cuivres puissants, du soleil brûlant.
Il regarda la ville sous la pluie, avala des cachets codéinés, se sentit bien. Des images lui vinrent en mémoire, du vent dans les cheveux, une voiture décapotable, ses parents à l’avant, la mer écrasée de lumière à droite, la montagne dans le contre-jour à gauche. Le jazz dans le poste.
Ça disparut.
Il se sentait mieux dans le salon, la visite des lieux l’avait rendu mal à l’aise. Plus les jours passaient, plus le sentiment que son espace se raréfiait prenait corps. Il haussa le son, les cuivres dévorèrent l’endroit, rythmes chauds, l’envie de renouer avec la vision se fit plus forte, il haussa encore le volume.
Quelqu’un frappa à la porte, fortement, plusieurs froid. Il laissa passer quelques instants, fit tourner le bouton de l’ampli dans l’autre sens, la musique s’évanouit. On frappa encore, X s’avança lentement vers l’entrée, scruta le couloir par l’œilleton.
Personne.
Le bruit avait certainement dû déranger les voisins.
Les événements récents le perturbaient, il n’arrivait plus à en défaire son esprit. Aussi décida-t-il d’user de quelque stratagème pour la nuit à venir. D’abord, il plaça le caméscope dans le couloir, le fixant à un mur à l’aide de ruban adhésif, juste avant la porte de la salle de bain, de biais. Porte qu’il verrouilla et dont il ...
... plaça la clé dans un tiroir de la cuisine. Ensuite, il sortit une feuille et écrivit :
X, le trois septembre.
Il mangea une petite assiette de pâtes, avala ses anxiolytiques, attendit que la nuit s’installe. La pluie ruisselait sur les grandes vitres. Douce musique, voix feutrée. Quand il sentit que le sommeil venait, il alluma le caméscope et retourna se coucher dans le canapé. Deux heures trente d’autonomie. Les faisceaux lumineux du téléviseur le happèrent, il s’endormit.
Il n’y eut pas de rêve, pas vraiment. Était-ce que l’impression de tomber dans un gouffre sans lumière et sans fin en constituait un ? Ou n’était-ce qu’une étrange traduction de ce que son esprit se souvenait être le jour et la nuit ? Il avait l’impression d’évoluer dans un désert noir, sous un soleil noir, sans que rien ne se passât.
Il se réveilla sur le sol froid de la salle de bain, le cœur battant la chamade, le souffle comme tondu au sécateur. Les canalisations larmoyaient doucement. Dehors, la pluie faisait frissonner les fenêtres. On entendait tout d’un point aussi bas. La matière chargée de matière, le son qui portait le son. En se relevant il se cogna la tête sur l’évier, maugréa un juron ou deux puis alluma la lumière.
Poitrail effiloché, du sang jusque sur le visage. Son regard affolé balaya l’endroit. La porte était cassée en son centre, brisée par des coups qu’il savait lui avoir donné. Qui d’autre ?
Sur le miroir il y avait des traces rouges et séchées, quelque chose qui ...