Rue Férou - Histoires de Sexe

Rue Férou

... Quelqu’un accepterait-il de l’accompagner jusqu’au métro ? Je me proposai. Elle accepta. Pendant que les autres entraient dans le petit café, nous nous éloignâmes en parlant de cinéma et de metteurs en scène(j’étais en pleine période cinéphilique). De fil en aiguille, j’oubliai ma promesse de rentrer tôt au domicile familial, et une heure plus tard, nous descendîmes côte à côte le boulevard Saint-Michel. Ingmar Bergman nous amena au quai des Grands Augustins. Nous traversâmes le Pont-Neuf avec Rosselini et arrivâmes au square du Vert-Galant en compagnie de John Huston(ma culture cinématographique étant réduite, je l’étalais de mon mieux).

Une quinzaine de personnes entouraient un musico-amateur en train de gratter une ballade anglo-saxonne sur sa guitare. Je m’assis au bord du quai, Danielle m’imita. Tous feux allumés, un bateau-mouche remontait le fleuve. Le guitariste passa de l’anglais au Sud-Américain. Je connaissais cette romance, le moment était venu de jouer le rôle, si souvent répété devant l’armoire à glace familiale, du jeune premier romantique. Je commençai donc à fredonner mezza voce en prenant l’air qui allait avec : demi-sourire le plus nostalgique possible et regard perdu vers des horizons forcément lointains(en fait les sombres silhouettes de la coupole de l’Académie et des immeubles du quai de Conti).

Ma voisine n’en fut pas du tout impressionnée.

— Tu veux ressembler à qui, se moqua-t-elle, Delon ou Belmondo ?

Un peu vexé, je grognai que je ne ...

... voulais ressembler à personne, et surtout pas à ces deux-là ! Danielle eut un petit rire.

— T’es jaloux, hein ? Y a pourtant pas de raison, t’es trop chou quand tu souris !

Je sursautai : « Trop chou », merde ! J’avais dix-huit ans depuis six mois, et la dernière personne qui m’avait dit que j’étais trop chou, c’était ma marraine en me découvrant dans mon costume de premier communiant, l’année de mes douze ans. Cette fille se foutait de moi ! Une réponse caustique s’imposait, mais je ne trouvai qu’un très banal « Puisque c’est ça… » que je maugréai en commençant à me relever.

— Sois pas bête, souffla-t-elle en m’attirant vers elle, et avant que je puisse dire quoi que ce soit, elle colla ses lèvres aux miennes.

L’instant cessa immédiatement d’être romantique. Je fus tellement surpris qu’au lieu de lui rendre son baiser, j’eus un brusque mouvement de recul. Mon équilibre étant plus qu’instable, je glissai sur le perré et entraînai Danielle avec moi dans l’eau de la Seine. Au cri que nous poussâmes en tombant et au bruit de notre plongeon, le concert s’arrêta net. Quand, soufflant et crachant, je sortis la tête de l’eau, je vis, debout au bord du quai, une dizaine de bons samaritains, dont au moins deux commençaient à se déshabiller pour plonger à notre secours… Dévouement inutile, en deux brasses je rejoignis le quai. Des mains se tendirent, je les saisis et, très vite, fus sur la berge.

Danielle était déjà sortie de l’eau. Pendant que je peinais à retrouver mes ...