1. Adrian


    Datte: 13/08/2018, Catégories: nonéro, portrait, journal, Auteur: HugoH, Source: Revebebe

    ... jouais dans le salon de mes…
    — De tes parents, je connais la putain de chanson, Adrian. Mais on commence tous quelque part, non ? On a tous un salon, hein ?
    — Je t’emmerde.
    — Ouais, mais bref, l’argent n’est pas la question.
    — C’est au contraire toute la question. Il n’y a pas d’art sans argent, sans vente, sans commerce ou sans mécène, sous toute forme qu’il soit.
    
    Sa voix était légèrement montée dans les aigus. Il fit un nouveau signe, plus prononcé, au serveur.
    
    — C’est possible, bordel, d’avoir deux pintes ? C’est trop demander ?
    
    *
    
    Il se levait tard. Les années n’y avaient rien changé. On l’attendait de moins en moins, alors il traînait du canapé à sa chambre, de sa chambre au canapé. La télévision était toujours ouverte, il en aimait le grésillement, la petite musique. Ça n’était plus comme avant, les programmes étaient H24 maintenant. Pas de mire, pas d’écran neigeux et gris. Son goût le portait vers des documentaires animaliers ou historiques, mais il ne rejetait pas pour autant la Trash Culture, des émissions si bêtes que chacun se trouvait intelligent. N’était-ce pas un miracle ? N’était-ce pas une absolue magie que de modifier ainsi la perception des gens ? Souvent, il regardaitThe wheel of fortune, répondait aux questions, insultait les candidats comme tout le reste du pays, et comme tout le reste du monde. Ensuite, quand le soir tombait sur Londres, il était temps de partir au studio.
    
    Et en allant au studio, il croisait des jeunes dans Soho. ...
    ... Portaient des jeans baggys, portaient des bonnets fins CK, portaient des doudounes aussi épaisses qu’une moquette de notaire. Quel âge ? Seize ans ? Dix-huit ? Vingt ? Un peu de tout ça certainement. Il les fixait avec intensité, provoquant chez certains une moue perplexe. Il les fixait longuement parce que le sujet le fascinait. Cet état particulier qu’il avait tant aimé, ce moment de grâce qui disparaissait tellement vite. Bordel, il n’arrivait pas à réaliser qu’il allait avoir quarante ans ; de fait, ce n’était pas une question de capitulation mais de compréhension. Son esprit ne l’intégrait tout simplement pas.
    
    Les radios jouaient Oasis et Blur. Wonderwall / Country House. C’étaient les grandes tendances du moment. La guerre ouverte entre les deux groupes excitait les kids. Liam Gallagher avait souhaité à Damon Albarn qu’il chope le Sida et qu’il en crève. Subtil. Amusant. Mais Adrian Borland n’y croyait pas. Ça sentait la mascarade médiatique, rien de plus, de simples intérêts commerciaux. Putain, est-ce qu’il était le seul à se rendre compte de tout ça ? Est-ce que chaque génération avait besoin de croire en ce genre de foutaises ?
    
    Il jouait toute la nuit, avec Harris, avec d’autres gars de passage. Sans but précis, bien qu’il s’en défendît. Il y aurait bien un nouvel album, un nouveau projet, un nouveau concept. Les nuits se succédaient dans un nuage chargé d’éclats de voix, de fumée, de malt.
    
    Il s’enfonçait lentement et il aurait juré par tous les diables qu’il ...
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