1. Adrian


    Datte: 13/08/2018, Catégories: nonéro, portrait, journal, Auteur: HugoH, Source: Revebebe

    Adrian Borland aimait jouer vite. Ça ne datait pas d’hier. Depuis qu’il était en âge de tenir une guitare, il avait toujours eu cette propension à accélérer le tempo, à aller chercher dans la rapidité les notes mélodiques. Il aimait jouer vite et il n’aurait su dire pourquoi. Une raison secrète devait bien alimenter cette tension, mais laquelle ? Et qu’en avait-il vraiment à foutre ? Ça ne s’était pas arrangé avec le temps. Peut-être qu’il avait peur. Peut-être que les gars de sa génération, à l’aube de la nouvelle décennie, peut-être que tous les gars comme lui n’avaient d’autre choix que de jouer vite, fort et sombre. Puisque tout s’écroulait, le monde dans son entier, qu’est-ce qui pouvait rester d’autre ? Il fallait bien trouver sa place vite fait, chacun la sienne, comme des fourmis sous crack. Peut-être qu’à force de répéter que le Soleil mourrait dans cinq milliards d’années, chacun en venait à attendre qu’une comète s’écroule comme un conducteur ivre sur sa misérable existence. Dans tous les cas, tout le monde allait y passer, d’une façon ou d’une autre, ça n’irait pas en s’arrangeant.
    
    « Tiens-toi droit, bordel », se répétait-il souvent. Et c’était peut-être aussi l’influence de Lou Reed ou de Jim Morrison qui le faisait se prendre pour une statue grecque, là, à cet instant, dans un club de la proche périphérie de Londres, devant un parterre clairsemé.
    
    — Jouez vite, putain, jouez plus vite, murmurait-il, les dents serrées et le visage tendu.
    
    Il s’escrimait à ...
    ... trouver la bonne intention. Ses doigts allaient et venaient, trituraient la guitare, accords nets, bien taillés. Sa bouche collait au micro. Ses cheveux humides lui collaient au front, sa chemise lui collait au torse. Le groupe collait à son leader. Ça semblait propre. De temps à autre, il baissait les yeux. Il détestait faire ça. Sur scène, l’idée était de les tenir, rien que par le regard, tous autant qu’ils étaient. Qu’est-ce qu’ils avaient dans la tête ? À quoi pouvaient-ils bien penser en le regardant bouger au ralenti dans les fumées épaisses du club ? Une pute, voilà ce qu’il avait l’impression d’être.
    
    Mais l’héroïne l’aidait à sentir d’autres choses ; des voix derrière les voix, des sourires qu’il ne serait pas parvenu à discerner. Peut-être que les gens l’aimaient bien finalement. Il jetait régulièrement des coups d’œil éteints vers Graham et Michael. Jouaient bien, rien à dire, une section rythmique tout ce qu’il y avait de plus cohérent. Pourquoi est-ce qu’il se sentait spectateur de son propre groupe ? Ils avaient l’air heureux, eux.
    
    Quelque temps auparavant, à la fin de l’année 1979, ils avaient été repérés dans ce même club par des gars de chez Korova, une filiale de Warner. Avec ce même titre. Avec cette même énergie. Pour le moment, rien n’avait changé et Adrian ignorait s’il devait s’en inquiéter ou s’en réjouir. Toujours est-il qu’ils en étaient là, jouant vite et dur, prêts à affronter le monde, à le dévorer tout cru. À la veille de la sortie de leur ...
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