1. Adrian


    Datte: 13/08/2018, Catégories: nonéro, portrait, journal, Auteur: HugoH, Source: Revebebe

    ... sa peau. Il plissa les yeux dans la luminosité du décollage.
    
    Que restait-il de The Sound ? C’est la question que se posait Graham en observant les candidats défiler derrière les fûts usés du studio de Lane Street. Plus de contrat / Plus de label / Plus de batteur. Sans parler de leur réputation à chier, comme si un panneau lumineux visible jusqu’en Chine annonçait : « Attention, groupe de barjots, leader DÉPRESSIF ».
    
    PIAS n’avait pas fait dans le détail, lettre simple, lettre claire annonçant leur volonté d’arrêter. Retour à la case départ, une fois encore.
    
    Adrian semblait fatigué, mais excité malgré tout. Le départ de Michael avait été un rude coup pour tout le monde mais pas une surprise en soi.
    
    — C’est comme ça, avait dit Adrian, perfide et ivre le soir du Nouvel An 1988, certains ont la foi, d’autres non. Michael est un suiveur, ça l’a toujours été. Qu’est-ce qu’il me reproche, de ne pas vous avoir tous emmenés au firmament de la gloire ? De ne pas avoir rempli vos poches de livres sterling, de dollars, de marks ? C’est ça la vie qu’il souhaitait ? Qu’il aille se faire mettre, lui et ses putains de velléités de fonctionnaire !
    
    Un batteur en remplaçait un autre. Rien ne les satisfaisait. Trop bourrin, trop jazz, trop rock, trop funk, trop gros, trop grand, trop blanc, trop chauve. À n’en plus finir.
    
    Les jours passèrent, les batteurs se succédèrent jusqu’à ce qu’il y ait moins de candidats, comme si une rumeur avait circulé en ville, du type : « Ne venez ...
    ... pas, groupe de camés sans succès cherche un simplet pour tenir les fûts et ne jamais être connu du grand public ».
    
    Adrian savait bien qu’ils ne pourraient remplacer Michael, et si au début, il avait estimé la chose possible, les premières auditions l’avaient rapidement fait déchanter. Dudley avait quelque chose de spécial, un certain phrasé, une vitesse propre. Surtout, c’était son ami, avant, quand tout leur semblait promis, quand l’avenir était encore un possible lumineux. Quoi de mieux que la jeunesse, en vérité ? Quoi de mieux que cette brûlante illusion ? Adrian ressentait soudain une forte lassitude. Qu’était-il advenu d’eux ? À trente ans et des poussières, ils semblaient si fatigués, tous. Retourner en studio, même avec un nouveau batteur, lui semblait si lourd et compliqué qu’il ne saisissait pas bien l’intérêt de tout ce cirque. Il se rappelait les premières séances de répétition dans le salon de ses parents quinze ans plus tôt. Comme ils jouaientHeartland en hurlant à pleins poumons. Les câbles qui traînaient sur la moquette beige. Les dessous de verre carrés qui ornaient la table basse. Ce genre de choses. Le passé ne le laissait décidément pas en paix. Toujours ces images, toujours le souffle d’avant. N’y avait-il donc pas de deuxième vie ?
    
    — Suivant, souffla Graham.
    — Ouais, suivant, ajouta Adrian.
    
    On ne trouva pas de batteur. L’envie manquait en définitive. Non que les gars soient dénués de talent, mais vraiment, c’était juste l’envie qui manquait. ...
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