Adrian
Datte: 13/08/2018,
Catégories:
nonéro,
portrait,
journal,
Auteur: HugoH, Source: Revebebe
... sol. Max rigolait tout seul devant son clavier. Jamais, tous autant qu’ils étaient, ils ne joueraient mieux que ce soir-là.
Backstage, après le concert, dans ce moment de décompression si grisant, Graham flirtait avec une groupie, laide au demeurant, « on a les fans qu’on mérite », souffla Michael, tandis que Max tâchait péniblement de se piquer une veine. Adrian prit un polaroïd, le flash vrilla la pièce. Têtes de cadavres, yeux rougis, visages dégoulinant de sueur, t-shirts froissés à effigies multiples. Ça ressemblait pourtant bien à quelque chose.
*
Ils tournèrent. Encore et encore. Jusqu’à ce que les corps s’épuisent. La vieille Europe était peut-être une maîtresse négligée mais la seule qui les aimât un tant soit peu. Les Pays-Bas, l’Allemagne et la France étaient leurs bastions. Et tant qu’à faire, s’ils avaient eu à choisir, l’Italie et l’Espagne auraient remporté les suffrages.
— Mais, disait Graham, c’est notre musique qui est la cause de tout ça. Ça ne me viendrait pas à l’idée de nous écouter sous un ciel bleu.
— Et dans ce cas, pourquoi est-ce qu’on ne marche pas chez nous, en Angleterre ? rétorquait Adrian.
Et c’était toujours le même jeu qui s’en suivait. Les blagues vaseuses sur le climat néerlandais, la langue, les filles. Maxy Max s’éveillait alors à l’évocation du sexe opposé. Oui, définitivement, c’était bien la seule bonne nouvelle dans le marasme de leur insuccès, parce que les filles d’Amsterdam, assurément, c’est ce qui se faisait de ...
... mieux ; blondes, blanches et chaudes.
— Aussi bon que du pain français, ajoutait Graham.
— Tout n’est pas perdu alors, ricanait Michael.
— Rien n’est perdu, jamais, déclarait Adrian, le regard vide soudain, comme si chaque fois qu’il prononçait ces mots, un couteau impalpable blessait son âme.
Ils sillonnaient les routes, et à mesure que les budgets baissaient, le camion leur semblait le seul endroit protégé des attaques de l’extérieur. Ils avaient déjà dû considérablement revoir le jeu de lumières, puis c’était une petite section de cuivres dont ils avaient dû se séparer à mi-chemin. Tant qu’il restait de quoi se payer de la dope, alors, l’illusion les maintiendrait en vie.
À la fin de l’automne 1985, le Melody Maker les interviewa à Munich, dans une taverne enfumée, les quatre enfournaient les bières avec un consternant sens du tempo. Graham dit :
— La plupart des groupes n’arrêtent pas de sourire sur scène, il doit pourtant y avoir une sorte de déception ou de tristesse cachée derrière tout ça. C’est sûr. Ils ne peuvent pas être aussi heureux, putain.
Et à l’usante question de savoir pourquoi le groupe s’acharnait encore, Adrian répondit :
— On ne doit s’arrêter que si l’on pense que ce que l’on fait n’est pas bon.
Les ventes dans cette portion de l’Europe les tenaient un peu près à flot. Assez pour les drogues, la tournée, les loyers londoniens de leurs misérables appartements. L’argent avait de l’importance / l’argent avait pris de plus en plus ...