1. Moi et elle et moi


    Datte: 07/08/2018, Catégories: nonéro, policier, aventure, Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe

    ... recette à l’Archange. Sylvain est un peu soufflé.
    
    — Vous voulez dire… vous et moi ?
    — Vous voyez quelqu’un d’autre, ici, capable de jouer le rôle de l’homme ?
    
    Déjà, je commence à me déshabiller. Je ne suis pas si prompte d’ordinaire. Mais – un – nous ne disposons pas de toute l’éternité pour jouer à la parade nuptiale et, – deux – depuis combien de temps n’ai-je plus fait l’amour ?
    
    Rieuse, car elle aime tout à la fois les situations cocasses et chaudes, Françoise encourage son frère :
    
    — Regarde-la, Sylvain. N’est-elle pas magnifique, mon amie Christine… Ou Nicole, peu importe.
    
    Avec une liberté que je n’imaginais pas, elle a porté la main sur son frère et défait la ceinture de ce dernier sans cesser de l’encourager. Elle nous pousse l’un vers l’autre. Dans un moment elle nous prêtera la main pour procéder à l’ajustement intime.
    
    Une grande paix couleur de ciel. Déconnectée du réel, consciente mais lointaine… Ma conscience ressemble à une longue plaine où résonne la voix de l’hypnotiseur. Peu importent les mots, seule compte leur sonorité lente et chaleureuse. Je marche sous un ciel à la Vlaminck. Au loin une silhouette se dessine, qui vient dans ma direction. Mon cœur bat plus fort : bonjour, bonjour mystérieuse Nicole. Je te rencontre enfin.
    
    Elle me ressemble, bien sûr. Comme une sœur. Comme une autre moi-même.
    
    La tristesse de ce décor sans relief commence à me peser, aussi décidons-nous d’en changer. Nous nous transportons sur la plage de mon ...
    ... enfance.
    
    Nous foulons le sable blond, ondé, le long du chenal étroit qui passe sous le pont et relie la mer aux salines. Le soleil bourdonne comme un gros hanneton jaune.
    
    Nous nous sommes assises. J’écoute, je me raconte l’histoire à moi-même.
    
    — À dix-huit ans, j’étais à la Faculté de Lettres où je m’ennuyais, ce qui me faisait enrager car je déteste perdre mon temps. Les autres filles écrivaient. Parmi les garçons, plusieurs se donnaient des airs de poètes inspirés. Ils étaient ridicules. Je m’étais laissée persuader par un professeur que mon avenir passait par l’écriture. J’avais le Don. C’était une erreur. Même si j’alignais les idées et les mots avec quelque efficacité, j’étais physique. Un vrai garçon manqué. Bagarreuse. Jamais aussi heureuse que lorsque la sueur me coulait de partout, la raie des fesses servant de gouttière selon l’expression de mon grand-père. Aucun exercice physique ne me faisait peur, aucune bagarre ne me faisait reculer.
    — Je me souviens, maintenant.
    — Évidemment que tu te souviens : tu es moi. Papa m’a offert une porte de sortie à cet ennui. Il était gendarme, tu n’as pas pu oublier ?
    
    Au fur et à mesure qu’elle parle, ce passé me revient avec la force de l’évidence.
    
    — Il m’a dit : nous recherchons une femme comme toi, qui n’a peur de rien et qui saura se battre s’il le faut. Nous sommes en guerre. Une guerre sale et désespérée, contre la drogue. Cette guerre-là, nous ne la gagnerons pas en arrêtant de petits trafiquants. Il faut à chaque ...
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