1. Moi et elle et moi


    Datte: 07/08/2018, Catégories: nonéro, policier, aventure, Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe

    J’avais douze ans. Maman et cousine Marie étaient descendues sur la plage presque après le déjeuner. Les gens arrivaient peu à peu. Je ne voulais pas rester sous le parasol, maman m’avait défendu de me déshabiller. J’ai marché tout le long de la plage. Il faisait chaud. Au bout du sable, il y avait des rochers, puis une autre plage, à angle droit avec la première.
    
    Ce souvenir et cette petite île de temps restent intensément gravés dans ma mémoire pour une raison simple : le soir même, nous quittions l’Algérie.
    
    J’ai souvent pensé à retourner là-bas pour retrouver la petite fille qui marchait sur la plage. Mais à chaque fois, raisons d’argent, raisons de travail, ce projet vague et velléitaire a reculé dans un avenir mal défini.
    
    Aujourd’hui, la conjonction d’une petite somme gagnée à un jeu de hasard et d’une période de chômage, les premiers jours de l’été, la claustrophobie née de la vie dans deux pièces exiguës m’emportent : rendez-moi mon enfance !
    
    En douze ans, le pays a bien changé. Je m’y attendais, naturellement. Oui, mais tout de même…
    
    Entre mes souvenirs et la réalité, rien ne coïncide. Les souvenirs d’une petite fille de douze ans ne constituent pas un guide de voyage des plus fiables, j’en conviens. Mais à ce point ?
    
    Mes parents, s’ils vivaient encore, auraient pu m’aider dans cette quête du passé. Ils sont morts peu après leur arrivée en France.
    
    Une impression cauchemardesque de m’être trompé de pays, de planète, me serre la gorge.
    
    La ...
    ... plage, par exemple… Je revois très bien les lieux. Notre maison se dressait face à la mer. On accédait à la plage par un petit chemin. De la fenêtre de ma chambre, j’apercevais à la fois une mosquée et le phare. Or, je me tiens à présent à l’endroit précis où se dressait (?) la maison. Je vois la mosquée, je vois le phare, sous l’angle adéquat. Mais pas de maison. Pas de plage. Des rochers, une falaise. Personne n’a jamais habité là.
    
    Qu’est-ce que cela veut dire ?
    
    La société fondée par mon père ? Elle n’a jamais existé.
    
    Est-ce que j’existe, moi ? Je commence à en douter.
    
    Avant la date prévue, je refais le voyage vers la France où je recherche la famille qui m’a brièvement accueillie après la mort de mes parents. Elle n’existe pas.
    
    La maison d’accueil où j’ai vécu jusqu’à dix-huit ans. J’en garde un souvenir précis. Grâce au ciel, elle existe. J’y recherche les traces de mon passage, des gens que j’ai connus. Et à nouveau ce cauchemar, cette impression de sentir le sol se dérober sous mes pas. Il n’existe aucune trace du passage à Moanna de la jeune Christine Convers.
    
    J’ai peur.
    
    J’ai repris mon travail. Je suis retombée dans le sillon du quotidien minable. Je parviendrai à me convaincre, avec le temps, d’avoir rêvé ce voyage.
    
    Mais le choc de cette découverte paraît avoir débondé une source de souvenirs dont j’ignorais l’existence. Il m’arrive de plus en plus souvent de m’interrompre dans mes activités quotidiennes parce qu’un train d’images, de sensations ...
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