1. Michelle


    Datte: 25/03/2021, Catégories: portrait, Humour Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe

    ... douloureusement éreintés dans ton livre malsain ;
    
    de l’amour sacré de la Patrie, du respect dû à son drapeau ;
    
    de la méfiance salutaire à l’égard des femmes de mauvaise vie et, corollairement, de l’usage du préservatif…
    
    L’auteur de mes jours se tait au milieu d’une phrase, constate avec cette lucidité que toujours je lui envie :
    
    — Tu te moques bien de ce que je peux te raconter, pas vrai ?
    — Oui, papa.
    — Alors, il me reste une chose à te dire, une seule : ton livre m’a bien fait rire.
    
    Ce qui ne l’empêche pas de me suggérer de renoncer à « certaines outrances » pour devenir « un véritable écrivain ».
    
    Par tendre hypocrisie, par lâcheté, je promets. Il s’illumine à l’énoncé de ces bonnes résolutions, brillantes comme une poignée de fausse monnaie. Avoue qu’il doutait si peu de me ramener « dans le droit chemin » qu’il a prévu un cadeau afin de sceller cet accord.
    
    Comme les orages, la guerre et les impôts, les remords passent et s’effacent. On sait qu’ils reviendront, aussi jouit-on doublement de l’instant présent. À moins, à moins que mes remords à moi ne se perdent dans le vent de la vitesse, fracassés par les décibels. La moto magnifique qui m’attend à la porte va devenir la fidèle servante de ma vie sentimentale si bien remplie. Il y a d’abord Marie-Pierre, nulle autre que l’épouse de notre nouveau maire. Et Bénédicte. Bénédicte et ses vingt ans, rencontrés l’un et l’autre au campus universitaire. Yvette, si longtemps perdue de vue, ...
    ... retrouvée.
    
    Et Michelle… si je parviens à faire fi des devoirs de l’amitié.
    
    Non, la sœur d’un ami, c’est sacré.
    
    Mais quel adorable petit renard…
    
    … Mon cher père s’engage dans une nouvelle aventure politique en prenant rang dans la hiérarchie d’un parti encore à naître, voué à « fédérer les forces de progrès de la Nation ». Il souhaite m’associer à cette croisade. Il nourrit à mon égard, je ne l’ignore pas, de réelles ambitions politiques. Il me rêve en Vercingétorix de cette alliance des tribus gauloises.
    
    Le personnage du « poor lonesome cowboy » chevauchant face au soleil couchant me conviendrait mieux.
    
    Ou mieux encore : cet écrivain salace et mal pensant qui signe « Jean d’O. » ses écrits
    
    Mais mes promesses imprudentes m’emprisonnent. Je m’enfonce, je m’enlise, m’entortille comme un chaton jouant avec une pelote de laine.
    
    À la première réunion du futur parti, je rencontre Nat.
    
    Tandis que les premiers orateurs se succèdent sur le podium, une jeune femme assise sur l’un des hauts tabourets du bar prend des notes devant une tasse de café. Elle a de très jolis sourcils, soyeux et fins, qui allongent en l’adoucissant la forme de ses yeux. Sa voix aussi émeut : voilée et sombre, enveloppant une rieuse tendresse. Elle a accueilli les arrivants par un petit discours d’ouverture du congrès.
    
    Sa poignée de main très protocolaire s’adresse au fils de Charles de Sordon. Ses yeux rient sympathiquement à découvrir « Jean d’O. » en pareille compagnie. Elle n’est pas dupe. ...
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