1. Michelle


    Datte: 25/03/2021, Catégories: portrait, Humour Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe

    ... renard avec une grande agressivité. Tu n’espères tout de même pas que nous allons passer notre vie ensemble ? Si tu t’approches encore de moi, prévient-elle en élevant le bras pour prévenir le moindre mouvement de son frère, je t’arrache les yeux !
    
    Plus tard dans la soirée. De nombreuses bières plus tard. Je suis accoudé au balcon. Jean-Jean est parti. Gilbert somnole dans un fauteuil. Michèle vient s’accouder à côté de moi, sans me regarder. Son torse juvénile parvient très bien à gonfler le pull-over. Elle n’est pas si petite que cela. Une aile de souples cheveux sombres dérobe son profil. Je parle à ce que je vois de ses cheveux, de son cou, de sa nuque. Les mots ont peu d’importance. Le petit renard, le visage toujours caché, se défend, esquive, s’enfouit dans des trous de silence puis revient me chercher. Elle se tourne enfin. Son sourire déchire un mur de verre entre elle et moi et elle prend sa respiration pour me jeter…
    
    qu’elle m’aime…
    
    … colle ses lèvres contre les siennes avec une hardiesse que j’étais bien loin d’attendre. Je me suis vraiment trompé dans mon jugement, ce qui m’arrive trop souvent. Je m’efforce de ne la toucher qu’avec les lèvres, maintenant son corps légèrement écarté. Alors, elle me jette les bras autour du cou et se presse contre moi. Je dois faire face à un désir brutal, fulgurant, respire avec avidité les cheveux roux, la douce peau mate.
    
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    Lorsque j’ouvre les yeux, les aiguilles verticales du ...
    ... réveil disent : midi. Ma nuque est prise dans un étau et mes dents grincent au fond de leurs alvéoles. Fort heureusement la journée en cours est un dimanche. Je me défenestre jusqu’à la taille pour constater que ma voiture n’empiète pas (trop) sur l’avenue. Retombe dans la tiédeur de mon lit, rêve.
    
    La lenteur d’un sourire.
    
    Comme un film monté en boucle je revois encore et encore cette manière qu’elle a de repousser d’un coup de tête la mèche qui lui tombe sur le front.
    
    Son parfum.
    
    J’ai fui très lâchement l’appartement de Gilbert hier soir.
    
    L’irruption de mon Charles de Père interrompt cette rêverie. Il tient à la main un exemplaire du « Drapeau noir » signé Jean d’O.
    
    Un instant, je joue sérieusement avec l’espoir qu’il vient simplement me parler, comme il le fait parfois, d’un bouquin qu’il a découvert sur l’étagère d’une librairie et aimé. C’est dire si j’ai l’esprit brumeux.
    
    Il pose ses fesses sur le bord du lit et me sert tout d’un trait une leçon de morale qui arracherait des larmes de rire à mon « maître à écrire », François Ravelais, ferait hoqueter un mort. Là-haut dans l’azur, les anges pouffent joliment derrière leurs mains jointes. Je garde mon sérieux en évoquant le naufrage du Titanic, l’œuf d’Oppenheimer glissant dans le ciel d’Hiroshima, la mort de Maïakovski, la vie sexuelle de Jean-Jean Blondeau…
    
    Mon bon bourgeois de père développe son propos avec grande conviction :
    
    — Des grands et nobles principes de la morale et de la religion, ...
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