La lettre
Datte: 29/07/2020,
Catégories:
hplusag,
nopéné,
Auteur: Oxalis, Source: Revebebe
... yeux voilés) comme si tu ne pouvais pas me juger. Mais tu me juges, évidemment. Seulement tu ne me dis rien.
— C’est faux, protesté-je en retournant à mes CD. Je ne te juge pas. J’apprécie ta présence sans me demander pourquoi tu es là, parce que c’est évident.
— Oui, c’est évident, répète-t-il d’une voix très douce.
Je lutte pour ne pas le regarder. Je ne veux pas voir la chaleur dans ses yeux, la chaleur de sa voix me suffisant pour le moment.
— Tu me manques tu sais…
Je n’y tiens plus et lève les yeux vers lui. Nos regards se croisent et je me sens rougir, comme à mon habitude !
— Oui, parfois, tu me manques… répète-t-il, comme pour lui-même.
Je me redresse, abandonnant mes CD, range au hasard quelques babioles sur le comptoir de la cuisine, dépose mon sandwich à peine entamé sur la table, range le sucre… Je sens son regard fixé sur moi, ne perdant pas le moindre de mes gestes. Je sais que mon trouble s’affiche sur mon visage, sans que j’aie le pouvoir d’y remédier…
— Je t’ai déjà dit que je n’étais pas exceptionnelle, je balbutie, gauchement.
Il se met à rire et je l’observe du coin de l’œil.
— Bien sûr que si, répliqua-t-il avec douceur. Je ne connais pas beaucoup de jeunes femmes qui veulent devenir écrivain, qui permettent à leur ex professeur de les embrasser et de les draguer sans le jeter dehors J’en connais peu qui l’inviterait seulement à entrer boire un café chez elles. À vrai dire, je n’en connais qu’une. Toi.
J’ébauche un sourire ...
... moqueur pour masquer le trouble qu’il provoque en moi.
— Je suis donc indispensable, conclus-je.
— En quelque sorte, rétorque-t-il du tac au tac.
Je secoue la tête, cherchant vainement un moyen de détourner la conversation.
— Au fait, tu m’as dit que tu ne restais jamais pendant les vacances, dit-il soudain. Qu’est-ce que tu fais ici, alors ?
Malgré tous mes efforts pour rester de marbre, mon visage se ferme, et je joue distraitement avec une mèche de mes cheveux.
— Je… murmuré-je. Je me suis disputée avec mes parents. Je n’avais pas envie de… rentrer chez eux.
Il garde le silence. Je me tourne vers lui. Il est en train de me contempler, pensivement.
— Tu veux en parler ? suggère-t-il avec délicatesse.
Je frémis, au bord de la crise de nerfs.
— Mon Dieu, non ! je m’exclame. Je crains d’être fort ennuyeuse…
Il insiste mais je lui propose à cet instant de lui prêter un de mes manuscrits. Il demeure silencieux un instant, l’air étonné et joyeux, et pendant qu’il m’affirme que c’est une excellente idée, je ne peux m’empêcher de penser à la lettre.
Je vais fouiller dans un de mes tiroirs de bureau, en sors une grosse liasse de papiers reliés, et lui donne. Il la prend immédiatement et jette un coup d’œil intéressé dessus.
Puis il me regarde.
— Tu devrais ouvrir cette lettre.
Je soupire.
— Tu ne comprends pas… Si je suis déçue ? Cette lettre, c’est en quelque sorte mon avenir…
Silence. La musique vient de s’arrêter. Je reste immobile, ...