La collègue est morte
Datte: 07/04/2020,
Catégories:
nonéro,
Auteur: Lilas, Source: Revebebe
... elle s’approcha du téléphone et appuya sur le bouton. Il y avait ses trois messages, laborieux et embrouillés, avertissant David qu’il s’était « passé quelque chose de très grave », et qu’elle était à l’hôpital aux urgences « s’il voulait la rejoindre ».
Piètres messages pour un piètre mari, sur un piètre répondeur. Seulement, David ne les avait pas écoutés. David n’était sans doute pas rentré de toute la journée.
Mina écouta le dernier message. C’était sa mère. Elle lui disait d’une voix contrite et inquiète qu’elle avait raté l’avion et qu’elle était désolée.
Parfait. Tout pour clore une merveilleuse journée. Tamia était morte. Dans une semaine, quand Mina retournerait au travail, Tamia sa collègue, sa meilleure amie, ne serait plus là pour l’accueillir.
Le sang.
« Je vais oublier tout ça pour l’instant. Plus tard peut-être je pourrai y repenser avec calme, mais pas maintenant. Il faut que je me reprenne en main, sans quoi je vais devenir folle ».
Mina avait toujours envie de pleurer, mais elle savait qu’elle allait mieux. Ses mains ne tremblaient plus.
Ne plus penser au sang.
Elle retourna dans le vestibule, ôta ses chaussures, voulut les ranger dans l’armoire. Se rendit compte qu’elles étaient tachées.
Se rappela.
Elle étouffa un cri, jeta violemment les chaussures très loin, qui rebondirent sur le carrelage avec un bruit sec et métallique. Elles étaient pleines de sang à moitié séché. La main plaquée contre la bouche pour ne pas hurler, ...
... les paupières rouges et gonflées, elle regarda la paire de chaussures avec une terreur sans nom.
Ce fut la sonnerie du téléphone, dans la cuisine, qui la tira du cauchemar où elle venait de sombrer. Elle se leva (car elle était tombée à genoux), se précipita dans la cuisine en faisant un large écart, plus que nécessaire pour éviter les chaussures, et décrocha le combiné mural.
— David ? appela-t-elle d’une voix haletante et enrouée.
Personne ne répondit au bout du fil. Brusquement, elle entendit un ricanement étrange qui éclata dans son oreille tel un ballon qui crève, la faisant violemment sursauter.
Cette fois elle hurla, le souffle raclant sa gorge, les deux mains lâchant le téléphone et s’abattant sur sa bouche pour insonoriser ce cri fantastique et inattendu.
Elle raccrocha très vite, hors d’haleine, tremblant de tous ses membres.
Son cœur battait follement dans sa poitrine. Elle n’entendait plus que ces battements sourds et irréguliers, et la panique – lapeur – dévastait sa raison…
… puis peu à peu, elle comprit que ce n’était pas du sang qui débordait de la poubelle où elle avait jeté les chaussures – mais seulement un papier d’emballage rouge vif, un paquet de chips sans doute, et elle se rappelait l’avoir mis là-dedans le matin même.
Mina secoua la tête, se traitant de gourde, et se remit à peler ses tomates pour le dîner. C’était absurde. Elle venait de tuer quelqu’un, et elle préparait le dîner comme si rien ne s’était passé, comme si rien ...