Vraimodo
Datte: 28/12/2019,
Catégories:
fh,
amour,
Auteur: Guust, Source: Revebebe
... plaisir que je n’ai presque jamais connu à ce jour, et je baisse les paupières pour mieux goûter à la saveur de cet instant.
Et soudain, c’est le déclic, l’évidence qui me saute aux yeux alors qu’ils sont clos : si nous les fermons pour embrasser, si des couples font l’amour dans le noir, c’est parce qu’il n’est nul besoin de lumière pour aimer. Le plaisir procuré par la vision, dans ces circonstances, n’est qu’une infime partie de ce que nous pouvons ressentir, et sans doute celle dont nous pouvons le plus aisément nous passer.
Nos bouches se séparent, mais nous restons encore enlacés, silencieux, serrés à nous en faire mal. Je n’arrive pas à croire à ce qui m’arrive. Est-il possible qu’une femme puisse m’aimer ? Ou tout au moins s’intéresser à moi au lieu de s’enfuir ? Le comportement de cette artiste pleine de sensibilité démontre la superficialité des apparences, la vanité du paraître, et me rappelle à quel point nous accordons souvent trop d’importance au plaisir des yeux, aux impressions fugaces laissées par les images.
— Vous tremblez, Gaston.
En effet. De petits frémissements nerveux parcourent ma moelle épinière, mes bras, mes jambes, et Yolande ne manque pas de les détecter.
— Avez-vous déjà serré une femme dans vos bras ?
— Non. Jamais. Vous êtes la première.
— Vraiment ?
— Oui, Yolande.
Oserais-je lui dire que c’est parce que les autres ne veulent pas ? Lui répéter à quel point je suis laid ? Cela n’a pour elle aucune importance, je ...
... le sais, mais je n’arrive pas à m’enfoncer cette évidence dans le crâne.
— Cela vous plait-il, de me tenir dans vos bras ?
— C’est agréable et troublant.
— Ne bougez pas. Je reviens tout de suite.
À regret, je la laisse s’éclipser vers une pièce adjacente. Que prépare-t-elle ? J’entends un bruit d’armoire qu’on ouvre et qu’on referme, puis Yolande revient, se mouvant avec grâce dans ces lieux qui lui sont familiers. De retour en face de moi, elle me tend un foulard soyeux, de teinte sombre.
— Aidez-moi à vous bander les yeux.
Je maintiens le foulard tandis qu’elle le noue derrière mon crâne. Me voici dans le noir total.
— Comme ça, nous sommes à égalité, annonce joyeusement Yolande.
Elle m’attrape la main et me tire, m’obligeant à la suivre.
— Vous avez un avantage, dis-je. Vous connaissez les lieux par cœur, alors que moi…
Elle marche lentement, et je la suis de près. Les yeux bandés, il m’est difficile d’évaluer les distances, mais nous avons certainement quitté la salle de musique. À nouveau, la jeune femme me laisse seul avec la recommandation de ne pas bouger.
— N’enlevez pas le foulard, Gaston.
— Bien sûr que non.
— Quoi qu’il arrive !
— Vous avez ma parole.
J’ai dit ça, mais je n’en suis pas moins inquiet. À quel jeu joue-t-elle ? Je l’entends qui se déplace, puis de la musique envahit les lieux. Je connais ce morceau, que j’ai entendu à deux reprises.
— C’est la sonate de Janacek, n’est-ce pas ?
— Exact. Vous aimez ?
— ...