Vraimodo
Datte: 28/12/2019,
Catégories:
fh,
amour,
Auteur: Guust, Source: Revebebe
On dit qu’il n’y a pas de sot métier. Moi, je ramasse les poubelles. Ce n’est pas spécialement gratifiant, mais avec le diplôme que je n’ai pas, autant m’estimer heureux de les ramasser plutôt que de me trouver réduit à les faire.
On démarre tôt le matin, avec Rachid. Très tôt, histoire de terminer les rues à problèmes avant les heures de pointe. On galope d’un trottoir à l’autre, engoncés dans nos costumes fluos à bandes réfléchissantes, on empoigne les sacs et on les balance dans la benne. C’est con, comme boulot, mais ça nous permet de subsister. C’est tuant, aussi. Parce que ça n’a l’air de rien, comme ça, mais les gens sont sadiques. On se demande parfois ce qu’ils fourrent là-dedans pour que ce soit si lourd, mais ce n’est rien que leurs ordures. C’est juste que comme les sacs sont payants, ils y entassent un max.
Dans les quartiers résidentiels où les maisons sont plus distantes les unes des autres, on grimpe assez souvent sur les marchepieds, à l’arrière du camion, et on s’accroche aux poignées. C’est Jerzy qui conduit. Un Polonais. Il se la pète, maintenant qu’il tient le volant, peinard dans la cabine, pendant qu’on sue comme des bœufs l’été, ou qu’on se les gèle l’hiver entre la benne et les trottoirs malgré nos gants, notre bonnet et nos bottines de sécurité.
Avant, Jerzy ramassait, comme moi, et c’était un pote. Mais à présent, c’est à peine si on se cause. D’ailleurs, il ne baisse jamais la vitre. Il dit que c’est pour ne pas avoir trop froid ou trop ...
... chaud, ou à cause des mouches, ou parce qu’il pleut, mais en réalité c’est pour ne pas nous entendre gueuler quand il démarre trop sec ou prend ses virages brutalement rien que pour nous emmerder. Jerzy, c’est un con. Pas parce qu’il est Polonais. Il serait autochtone que ça ne changerait rien. C’est simplement qu’il est devenu comme ça dès qu’il a obtenu la place de chauffeur en remplacement de l’ancien qui partait à la retraite et que Rachid est venu compléter l’équipe.
— Putain d’équipe ! s’est-il gaussé un jour. Un Marlouf et un moche : on pouvait pas me donner pire !
Puis il a ricané et craché par terre, avant d’ajouter :
— Ah ! ben si, tiens ! Y aurait pire : deux Marloufs moches !
J’ai vu Rachid serrer les dents et les poings, mais il s’est contenu. Il a juste marmonné :
— Y a beaucoup moins de Marocains moches que de Polaks stupides !
Mais l’autre n’a pas entendu, parce qu’il était déjà remonté dans la cabine. Depuis, il s’est quand même vachement calmé, et il dit moins de méchancetés. En fait, il ne dit plus grand-chose du tout, parce qu’il se méfie et qu’il ne cherche pas spécialement les emmerdes. Et tout d’abord, il n’ose plus boire. Au volant, ça ne se fait pas. Mais quand il balançait les sacs avec moi, de temps en temps il sortait sa petite fiasque, et parfois il voulait m’offrir un coup, mais c’était rare. De toute façon, j’avais refusé dès la deuxième fois : le genre de tord-boyaux qu’il affectionne, très peu pour moi !
Aujourd’hui, avec ...