1. Papyrus


    Datte: 22/03/2018, Catégories: nonéro, Auteur: HugoH, Source: Revebebe

    ... vont faire le soir. Ils regardent les autres, ils se recoiffent. Ils vont aux toilettes, ils se frôlent, ils parlent bas dans les cafétérias, ils fument lentement au pied des tours. Tout le monde est dégoûté d’être là mais personne ne sait quoi faire d’autre. Ils ne veulent pas l’admettre, ils le refusent. Pourtant, c’est leur putain de vie. Et moi, je les encadre, je les flique, et plus le temps passe et moins je peux les supporter. Lui, c’était différent. Parce que différent il l’était, fondamentalement il l’était. Et il n’avait rien à faire là. Quand il parlait aux clients, il avait ces drôles de mots. Cette façon de parler, un peu d’un autre temps. Et si les autres chargés de clientèle ne s’intéressaient pas à lui, ça ne les empêchait pas de le trouver bizarre. Peu se mettaient à côté de Lucas. Sauf les jours où l’effectif était chargé. Il était bien noté. Il était sérieux. Pas d’appels personnels, pas de pauses intempestives. Internet par contre, il y allait. Il avait créé un site je crois. Mais il décrochait à une bonne cadence. Je le supervisais. Et je me rappelle avoir dit en réunion que ce gars avait réussi l’exploit de ne recevoir aucun appel extérieur en trois mois.
    
    Lucas
    
    Il tapait vite. Frapper les touches d’un clavier lui semblait naturel. Autour de lui, des gens parlaient. Dans des petits micros reliés à des casques ils parlaient. Et toutes ces voix étaient un tapis sur lequel sa propre voix glissait. Il appelait des inconnus. Répondait à d’autres. Il ...
    ... leur parlait. Entrait dans leur vie avec des mots qu’il tentait de rendre humains. Ces mots, il aurait dû les vomir mais il savait faire la part des choses. Souvent, la pluie tombait sur la ville. Il aimait regarder les traînées d’eau sur les grandes baies vitrées. Il ne pensait pas à la poésie, pas ici.
    
    Isabelle
    
    Je n’ai pas été une mère parfaite. On peut dire que je n’ai pas été une bonne mère tout court. Pourtant, je l’ai aimé. Mal, mais je l’ai aimé. Je suis trop égoïste. J’avais une carrière, des choses à gérer. Je n’avais pas la volonté de changer. Il n’a manqué de rien. Financièrement, je l’ai mis très tôt à l’abri. Mais je n’étais pas souvent là. Et comme son père m’a quittée peu avant sa naissance, il a grandi seul dans un bel appartement, entouré de nounous et de domestiques. Depuis son plus jeune âge, il s’est montré renfermé, intelligent et vif mais centré sur son monde intérieur. Il s’inventait des amis invisibles. Était peu liant. Quand il était seul dans sa chambre, je l’écoutais parler, donner des consignes à ses jouets, lire des histoires à ses « amis », gronder ses peluches. Ça me faisait peur et dans le même temps mon cœur se serrait parce qu’il était si ardent dans ses petits jeux que cela touchait mon âme de mère. Petit à petit, ces rituels ont disparu mais cette propension à parler seul lui est restée. Il est demeuré introverti et timide. Sombre et tourmenté. Quand il a été plus grand, il devait alors avoir douze ans, il m’a posé des questions sur son ...
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