1. Papyrus


    Datte: 22/03/2018, Catégories: nonéro, Auteur: HugoH, Source: Revebebe

    ... c’est-à-dire comme on peut bien aimer un mec qu’on manage. Tant qu’il ne me chie pas dans les bottes, tant qu’il joue le jeu. Mes outils indiquaient une chute de productivité d’environ trente pourcents. Mes outils disaient : Il y a un problème. J’ai dû le recevoir. Je l’ai convoqué. Plusieurs fois. J’ai essayé de le faire parler. J’ai usé des techniques d’entretien. Sans effet. Je l’ai menacé. Sans effet. Je l’ai amadoué. Sans effet. Un jour, j’ai poussé mes feuilles de statistique sur le côté de la table et je lui ai dit : Oublions le bureau, c’est quoi le problème ? C’était aussi une technique. Il a juste concédé vivre des moments difficiles. Il fuyait mon regard. Regardait la fenêtre fermée. Des gens passaient devant le bureau, jetaient des regards en biais. Il a encore dit : C’est difficile. Et quatre jours après, il a disparu.
    
    Isabelle
    
    On a retrouvé la barque sur le fleuve. Ses vêtements étaient bien rangés. Les rames ramenées et parallèles sur le fond en bois. Il y avait une légère brume. Les gyrophares tenaient le crépuscule. Ils ne l’ont retrouvé que de nombreuses heures plus tard. Des hommes grenouilles ont fait des signes. Ils ont remué des lampes dans la nuit. Il faisait froid. Si froid qu’une mince pellicule de glace n’allait pas tarder à se former.
    
    J’ai erré un long moment. Je suis allé chez lui. Je me suis couchée. J’ai passé un de ses t-shirts. J’ai pleuré. J’ai lu des feuillets. C’était tellement sombre. Je sentais l’échec. Mon propre échec. Comment ...
    ... avait-il pu devenir ce parfait étranger ? Son frère. Ses poèmes parlaient presque toujours de son frère. Je ne savais pas qu’il avait porté ça si longtemps. Et puis, j’ai lu les mails. Il les avait imprimés et posés sur son bureau. Une bonne douzaine. Un par semaine. Des messages terribles qui détruisaient son travail. Ça m’a mis en colère. Puis je me suis calmée. Il y avait quelque chose dans l’écriture. Quelque chose de familier. J’ai regardé les heures d’envoi. J’ai regardé les jours. J’ai cherché.
    
    Lucas
    
    Il se rendait aux toilettes. Quand la pression devenait trop forte. Quand les vertiges venaient, il s’abritait dans une cabine. Mettait sa tête entre ses mains. Fermait les yeux. Respirait lentement. Des gens entraient et sortaient. Il devinait les chaussures, les silences devant la grande glace. Comptait les minutes. Baissait la tête.
    
    Paul
    
    Sa mère m’a apporté les mails. Elle pleurait. Elle me disait : Regarde, Lis, Lis bien. L’écriture. Cette façon de tourner les phrases. Tu ne trouves pas ça bizarre ? Elle était livide. Sa voix cognait les murs. Je la connais depuis longtemps mais finalement on ne s’est pas beaucoup parlé. Elle m’a montré les plannings. Ceux de Lucas. Ils correspondaient. Les dates et les heures correspondaient. Mais ça voulait dire quoi ? Ça n’avait aucun sens. Lucas se serait envoyé les messages ? J’ai appelé Simon. Je lui ai parlé de cette histoire. Mais on n’y a pas cru. Il aimait trop ses poèmes pour se détruire de la sorte. Et pour quoi ...