1. Une maison bleue


    Datte: 11/12/2019, Catégories: ffh, exercice, aventure, sf, Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe

    ... Efface toute cette merde. Le logo haut en couleur de la DisneySpielberg s’allume au centre de l’écran. Encore une pub, sûrement. Louis clique sur l’icône «Récupérer». Il aurait pu commander Efface et toute l’histoire aurait été retardée de quelques jours, mais à quoi bon ?
    
    Coup d’œil distrait. Nom de Dieu de bordel à cul de pompe à merde ! … Il gueule : Jeanne ! … Jeanne ! …
    
    — Qu’est-ce qui se passe ?
    — Regarde un peu ça, regarde : « ils » veulent acheter les droits pour Baladares…
    
    Baladares, ils l’ont créé pour eux. Jour après jour, soir après soir. Chacun amenant sa pierre. Des années d’un plaisir secret et sans cesse renouvelé. Plus tard, Isa, petite douce, Isa la rousse a participé aussi à cette création, un jeu, rien que pour eux.
    
    Baladares. Ils l’ont stocké dans leur répertoire personnel, sur le serveur parisien.
    
    Comment la DisneySpielberg a pu en avoir connaissance, il vaut mieux ne pas le savoir. Depuis pas mal d’années, le concept de vie privée est devenu une plaisante fiction. Donc, quelqu’un a lu Baladares et a aimé ce qu’il a lu, ou a su flairer la bonne affaire, c’est pareil. Le flair existe encore, à la fin du vingt-et-unième. Tu as encore le droit à l’intuition, mais la machine statistique vérifiera, confrontera ton pressenti aux réactions type de la population.
    
    La DisneySpielberg veut acheter les droits de Baladares.
    
    D’abord, les Salernes sont réticents. La DS, c’est de la production pour plus grand nombre, le divertissement ...
    ... politiquement correct qui peut se voir en famille. Au niveau du plus con, quoi. De la soupe. Donc, vendre les droits de Baladares, cela veut dire pour les Salernes et pour Isa, accepter que leur œuvre – ils l’ont voulue dérangeante, forte, vulgaire, méchamment drôle – passe à la moulinette américaine pour ressortir sous la forme d’un jus douceâtre, aseptisé, à la jolie couleur rose, un produit rigoureusement formaté, conforme à la réglementation, garanti aseptisé… Mais, sur l’autre plateau de la balance : l’argent, le fric, l’oseille, le blé, l’artiche, la braise, ce putain de pognon qui ne fait pas le bonheur, mon con, mais qui donne la liberté et c’est encore mieux.
    
    La liberté. Ils discutent longtemps, balancent et de toutes façons ils savent bien qu’ils n’ont pas le choix parce que même sans leur accord, Baladares passera sur les écrans. Pas leur œuvre, pas leur rêve : le titre changera et tout plein de détails, le résultat sera juste assez différent pour que les auteurs ne puissent rien réclamer : pour ça, tu peux faire confiance aux hommes de loi et à leurs système experts. La DS l’a déjà fait et le fera encore, ne s’embarrasse pas avec des états d’âme mais elle préfère payer : une goutte d’eau dans un budget à l’échelle planétaire.
    
    Donc, ils signent. Louis, Jeanne, Isabelle. Apposent leur pouce sur le document. Le responsable artistique leur sourit : félicitations, vous devez être heureux. Et alors commence le pire. Assister à la dénaturation de leur œuvre, affirmer aux ...
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