Une maison bleue
Datte: 11/12/2019,
Catégories:
ffh,
exercice,
aventure,
sf,
Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe
Pour Catherine, qui voit de l’acide partout : amicalement.
Elle l’a senti sitôt que débarquée du tube, dès ses premiers pas hors de la station. Sensation difficile à traduire en mots, impossible à partager avec qui ne sait voir sans les yeux, entendre sans les oreilles : la Cité crépite. Un goût âcre dans l’air, impression d’étouffement, paumes sèches, migraine.
Elle est restée immobile trop longtemps, indécise. Les G.M. n’aiment pas les indécis – dans leur représentation du monde, l’indécision appartient à ceux qui ne savent pas où aller parce qu’ils n’ont nulle part où aller, donc : éléments perturbateurs, corps étrangers dont la Cité doit se protéger.
Avant de le voir, sans devoir tourner la tête, Isa l’a senti : deux pointes de feu posées sur sa nuque. Merde ! … Elle focalise ses perceptions sur lui, le bruit de fond de la Cité baisse d’intensité, sa présence à lui, présence puante, bribes de pensées grasses, devient plus palpable. Il l’a remarquée, isolée au sein de la foule pressée, il la trouve jolie. Tignasse rousse flamboyante, sexe, fesses et hanches bien dessinées par la tunique serrée.
Isa, marche sans se retourner. Se noyer, se perdre dans la multitude, elle ne lui échappera pas autrement. Oui, voilà, d’autres silhouettes sollicitent l’attention du G.M., ça y est il l’a oubliée.
Isa tend ses oreilles immatérielles et aussitôt affluent en elle les milles rumeurs de la Cité, ombres de pensées fugitives, brèves explosions, pétillements joyeux ou ...
... lents remuements de boue, irruption soudaine d’une présence si proche qu’en étendant la main on pourrait la toucher, cris inaudibles qui vous percent comme une lame – à en grincer des dents, à en hurler. Laideurs et beauté.
Isa, les yeux clos, dans un petit parc, debout au pied de la statue du Grand Charles, statue défigurée par la rouille et les fientes de pigeons. Qui était ce Charles ? Personne ne s’en souvient plus, apparemment, vieille gloire du siècle passé. Oublié. Passé dans le vide-ordures de l’histoire.
Rue du Temple, un homme vient de fermer les yeux : usé par une vie de labeur, amer parce qu’il n’a rien pu faire de cette vie : il a bouffé, dormi, travaillé. En vain. Il meurt mal et seul. Sa souffrance fouaille Isa qui s’écarte de son mieux, pivote d’un quart de tour, s’efforce de fermer son esprit – pas assez vite, malheureusement, pas assez vite pour éviter la souillure des voleurs d’organes. Ils font leur travail : calmes et sereins. Soigneux. Pas d’états d’âme, la routine. La victime tuée par un anesthésique à dose létale devient puzzle entre leurs mains expertes. Les assassins ont pompé sur le réseau global son dossier médical détaillé et savent exactement quoi prendre et quoi abandonner aux asticots.
Les yeux : excellents, dans les mille crédits au moins selon le cours actuel.
L’estomac ? Non, laisse-le : début d’ulcère. Vaut pas un clou.
Le cœur, en parfait état. Le gars était un sportif. Se négociera au meilleur cours.
La moelle épinière, le ...