1. Une maison bleue


    Datte: 11/12/2019, Catégories: ffh, exercice, aventure, sf, Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe

    ... prudemment ses vrilles, ne capte que le bruit de fond normal. Elle s’ouvre davantage, écoute/regarde sans les yeux, sans les oreilles.
    
    Jeanne.
    
    Une grande paix émane du personnage, l’Adagio d’Albinoni, force et bienveillance, une trame chaude et douce dont Isa s’enveloppe aussitôt, elle en a tant besoin. Isa se redresse sur ses coudes, prend conscience, a honte de ses seins, de son ventre d’hirondelle et tire le drap jusqu’au bout de son nez. Jeanne aux larges épaules lui caresse la joue : pourquoi cacher ce qui est si joli, petite douce ? Laisse-moi voir ton épaule.
    
    Isa, petite douce, opine et Jeanne au lent sourire dévoile la chair tendre, l’enfant nue jusqu’à la taille cache ses seins jolis dans ses mains sous ses doigts écartés. Jeanne étale sur sa paume une pommade, frotte lentement la peau violentée.
    
    Isa pense : grand, massif, les mains comme des battoirs, pas de cou, un torse de lutteur de foire. Une grosse bête, silencieuse et plantigrade, beaucoup de cheveux et de poils, une barbe sauvage, un profil lourd. Un ours. Ou un lion ? Elle demande : où est-il ? Il n’a pas de mal ? Jeanne au lent sourire répond : il est dans la pièce à côté. Il n’a jamais de mal. Tu veux le voir ? Isabelle répond non, très vite, en tirant à nouveau le drap et puis elle se souvient de son corps et qu’il est un homme, cheveux, poils, barbe sauvage, ses mains et elle a chaud, elle laisse retomber ses mains à elle et Jeanne dit en se tournant vers la porte : tu peux venir.
    
    Louis. ...
    ... Violent, brouillon, emporté, une bête rugueuse dont les bons sentiments ne savent s’exprimer qu’à travers de vastes gueulées, des jurons, la colère. L’âme de Louis porte le feutre à larges bords, l’épée et le long nez de Cyrano.
    
    En ce début de siècle, les créateurs d’histoires, les conteurs n’ont pas disparu. On avait pu le craindre, mais ils n’ont pas disparu. C’est même l’ultime bastion où l’intelligence biologique, la « machine de viande » tient la dragée haute aux omniprésents systèmes experts, à l’intelligence artificielle. Le neurone contre le silicium. La machine n’a jamais pu reproduire, assimiler, imiter la spontanéité, la fantaisie, la liberté, la folie. On doit lui donner la becquée, et ça c’est le travail de Louis et de Jeanne : imaginer, rêver et puis instiller dans les bases de données leurs mots porteurs de rêve et de désordre, leurs visions hallucinées. Ou encore : écrire des histoires jamais lues. Plus exactement : lues par la machine qui va les digérer, disséquer, traduire en sibyllins symboles dans le secret de ses entrailles cristallines pour les retailler, ces histoires, selon les consignes du moment. Les produits fournis au consommateur, en bout de chaîne : garantis aseptisés, contrôlés, haute teneur en vitamines et conformes à ses attentes à la virgule près.
    
    Mais, leur quota fourni, les créateurs d’histoires rêvent. Créent. Délirent hors de tout contrôle sanitaire. Rien à fiche, des normes européennes. Et tu verras un peu, si j’arrive au bout de ...
«12...567...15»