Une maison bleue
Datte: 11/12/2019,
Catégories:
ffh,
exercice,
aventure,
sf,
Auteur: Jean de Sordon, Source: Revebebe
... Staffa, oui, c’est là-bas, bien sûr ? on connaît. C’est devant Staffa que le C.-d.-G. largue ordinairement ses containers. À cause des grands fonds. Des fosses insondables. Déchets nucléaires à vie longue, toutes les saloperies les plus nocives rejetées par la chimie des pays industrialisés, des stocks d’armes chimiques périmées dont l’océan ronge patiemment les emballages. Un de ces quatre, va y avoir des remontées, on va rire, enfin façon de parler…
Il rit, s’en fout, le capitaine du C.-d.-G. il aura crevé avant. Depuis vingt ans qu’il fait ce métier, les radiations lui ont rongé la couenne, les vapeurs toxiques ont bouffé ses poumons, les yeux et le foie. Suffit qu’il entre dans le poste pour faire caqueter les Geiger. Il hausse les épaules. Des passagers, pourquoi pas ? Ça l’amuse, le bougre. Des passagers à bord du C.-d.-G…. On aura tout vu !
Il boit, il rêve. Et dans ses rêves, il est le plus grand, toujours, il est le plus fort, le conquérant. Redouté. Légendaire. Meneur d’hommes cruel. Il s’imagine souvent debout à l’avant d’un drakkar, descendant de la mer du Nord, chevauchant la tempête à la tête d’un millier de guerriers brutaux. Pillage, vol et viol. Gog l’Épouvante. Rêver d’aventure à Caracas en 2050…
Un petit homme, Georges Gogol, Gog. Petit dans son corps et petit dans sa tête, dans ses rêves. Survit grâce aux aides sociales, présent minable, avenir gris : chômage, ennui, alcool. Passé gris : aides sociales, chômage, alcool, violence et prison. Il ...
... boit, il rêve. Gog l’Épouvante. Ses coudes largement étalés sur la table, le dos rond, une barbe de huit jours. Il sent la sueur et l’urine. Ses yeux sans vie fixent la surface miroitante de l’alcool. Sa tête pend mollement entre ses épaules. Quand les Salernes sont entrés, il les a enveloppés d’un lent regard. Les épaules, le torse de Louis, la nuque de Jeanne, ses bras possessivement posés autour du torse d’Isa, Gog a tout pesé en un regard. Il s’est attardé sur Louis, ce regard. D’emblée, Gog déteste la bête rugueuse, déteste à tuer, déteste définitivement. Isa, par contre… Il l’imagine nue. Toison douce de son ventre d’hirondelle. Promène ses lèvres épaisses au long de ses chevilles fines. Ses genoux. La face interne de ses cuisses, peau douce, tendre compas ouvert se rejoignant dans le chaud, dans l’humide.
Il est largement ivre. Gog. Gog l’Épouvante. Saisit son verre d’un geste décidé et sans y avoir été invité le moins du monde, vient prendre place à la table des Salernes, leur sourit, sourit à Isa. Oblique. Fermement appuyé sur ses coudes écartés, pour ne pas basculer. Il dit : attirante, désirable. Il dit : Caresses, suçons, jouissance. Il ricane en voyant Louis lever la main. Il dit : À votre place, je n’en ferais rien. Et il ajoute après un temps de silence : Fils de Simon !
Louis sursaute, considère avec plus d’attention le minable personnage. Imaginez que je devienne trop bavard, dit Gog. Ça pourrait être gênant pour vous. Vous devriez m’offrir à boire… mon ...