1. La mangeuse d'hommes


    Datte: 07/11/2019, Catégories: fh, bain, campagne, amour, lettre, historique, lettres, historiqu, Auteur: Asymptote, Source: Revebebe

    ... pans de cette cuirasse et ta gorge ivoirine jaillit, enflée par la compression subie et les impulsions couvées dans tes tréfonds. Je massai de langue et de doigts ces pauvres chairs tuméfiées qui s’horripilaient aimablement, qui palpitaient sous mes caresses, la brûlure de mes lèvres et l’irritation de ma moustache. Tu te donnas sans réserve, clamant ta passion dans ton regard énamouré.
    
    Nous nous sommes ensuite envolés vers des cieux enflammés conjuguant fougueusement nos désirs, nos bouches, nos corps et nos soupirs en une ardeur unique. À défaut de rossignol, tes gémissements distillés au rythme de tes spasmes composèrent la plus suave des musiques, et quand tu sombras, l’éloquence de ton trille perçant me contracta dans une ultime déflagration.
    
    Des tirs d’artillerie viennent de rompre mon silence recueilli. Si je mets tant de soin et de temps à t’écrire, c’est parce que dans cet exercice je retrouve ce qui reste de meilleur en moi. Ne t’imagine pas dépositaire de simples lettres : c’est mon âme que je te livre, n’étant pas certain d’en conserver une ici. Tu te demandes peut-être aussi pourquoi je dépense autant d’énergie à te raconter des évènements que tu connais car en ayant été partie prenante ? Ils furent tellement irréels à l’époque où je les ai vécus que j’ai alors cru les rêver. Maintenant que je les rêve, je me les approprie vraiment et ils acquièrent toute leur densité.
    
    Ces pattes de mouche à l’obligeance du vélin confiées sont ma confession, rassemblent ...
    ... mes espoirs, si faibles, et clament si fort mon désespoir. Mais que peuvent des mots, même hurlés aux confins de l’anéantissement ? Dans le fracas des bombes, ils se dispersent en murmures ; dans le calme feutré de l’arrière, ils paraissent d’outrancières divagations. […]
    
    Lettre 5 - Intégrale de la vingt-huitième lettre datée du 24 décembre 1915
    
    Mon pauvre Amour,
    
    Qu’écrire ? Comment écrire ? Comment et pourquoi mêler, ne serait-ce qu’une seconde, ton inaltérable souvenir, ta douceur et ta légèreté à la crasse, la fange et l’horreur ? Quand Dante parcourt l’enfer, il ne fait que le traverser, le visite en touriste, n’y tient aucun rôle actif.
    
    L’autre matin, le temps était clair et l’air glacial ! Le soleil dardait sans que les températures ne grimpent. C’est l’une des caractéristiques de ces régions : l’hiver, plus le ciel est bleu, plus il y fait froid. J’imaginais le HWK avant la guerre. Je le voyais, couvert de ses immenses sapinières aux troncs énormes et interminables couronnant leurs faîtes d’une frondaison si dense que seuls de rares éclats de lumière la transperçaient. La forêt était si épaisse qu’en plein jour la nuit y régnait, et si obscure que hormis quelques mousses et lichens rien ne poussait sur le tapis moelleux de fines aiguilles. Dans cette nature de début du monde, des sources limpides égayaient le silence de leur gazouillis. De loin en loin, le brame d’un cerf torturé par ses appétits vrillait les bois d’un appel désespéré. Fugitivement aussi, ...
«12...161718...21»