1. La mangeuse d'hommes


    Datte: 07/11/2019, Catégories: fh, bain, campagne, amour, lettre, historique, lettres, historiqu, Auteur: Asymptote, Source: Revebebe

    ... vocalises énamourées, lançant des trilles haletants qui s’accéléraient, se faisaient plus aigus et plus clairs, s’amplifiaient jusqu’à devenir tonitruants. Le ténor s’époumonait en consonances tantôt cristallines, tantôt graves que précédaient de courts silences après lesquels il se répétait de plus belle. L’air alentour vibrait à la cadence de ses trémolos qui clamaient une fièvre grandissante relayant de languides échos à peine étouffés. Enfin il s’emballa dans une interminable portée de triples croches suraiguës qui le suffoquèrent. Il se tut, tandis qu’une ardente complainte résonnait sous les branches qui l’abritaient.
    
    Nous quittâmes ces félicités, enveloppés des moiteurs et des éclats orangés de cette fin de journée. Quand nous prîmes le chemin du retour, j’étais au paradis, et l’idée de te savoir intégralement nue sous ta robe m’enflammait prodigieusement. Lorsque nous parvînmes aux vélos, je t’engageai à partir avant moi afin que l’on ne nous vît pas ensemble. Je voulus encore t’adresser une prière mais tu posas un doigt catégorique sur mes lèvres et, m’imposant silence, me déclaras : « Tu as brisé un sceau, ce qui t’engage à en sceller un autre. Je n’ai pas tergiversé et je n’en attends pas moins de toi. »
    
    Tu m’as avoué, par la suite, t’être fort égayée de mes effarements ; et s’il est vrai que ta détermination soutenue par ta touchante ingénuité m’a parfois irrité, elle m’a, le plus souvent, séduit. Tu as beau être demoiselle de bonne famille ayant mené ses ...
    ... études en ville, tu n’en es pas moins fille de nos campagnes qui, loin de s’encombrer de mesquines hypocrisies, sait vouloir et aller droit au but. Bientôt, tu m’as ainsi expliqué que tu préférais un ferme engagement d’amour à toutes les conventionnelles épousailles. Dire que je n’ose avouer tout cela que sous la contrainte d’une guerre… J’avais, à trente ans, connu plusieurs amantes avant toi, cependant la gamine que tu étais m’en remontrait à chaque seconde ! Voilàle souvenir qui, si souvent dans le passé, m’a porté aux anges au sein de l’enfer et qui, à l’avenir, réchauffera ma tranchée ; mais j’aurai beau faire, je n’arriverai pas à confondre le sifflement des obus avec les odes d’un rossignol. Excuse-moi enfin d’avoir puisé dans mes annales littéraires pour décrire notre premier enlacement, mais le rossignol était là, même si d’autres égarements m’ont empêché d’écouter le détail de ses vocalises.
    
    Il ne faut pas que tout cela occulte une grande nouvelle dont je suis fort heureux, quoique pas trop fier. Heureux, car je devrais d’ici peu bénéficier de l’une de ces permissions que permet le régime qui vient de s’instaurer. Bien sûr, j’en passerai une partie chez mes vieux parents qui se font un sang d’encre à mon sujet, mais dès que possible je partirai pour Dijon où j’espère que tu me rejoindras. Pas trop fier, car il s’agit d’un passe-droit, les permissions étant en priorité réservées aux hommes mariés. Elle m’est concédée au vu du fait que je remplis ici la fonction ...
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