1. Revendication de l'Aube


    Datte: 01/12/2025, Catégories: #société, #policier, fh, Auteur: Samir Erwan, Source: Revebebe

    ... dans une trêve. Nos corps se sont cherchés sans se presser. Pas pour conquérir. Pour retrouver un centre. Un silence. Un nous.
    
    Ses mains ont tremblé, un peu. Pas d’émotion. D’épuisement. De tension relâchée. Elle m’a pris contre elle, peau contre peau. Et dans le noir, pendant que nos souffles ralentissaient, elle a commencé à parler.
    
    — Il fallait qu’il me croie. Complètement.
    
    Sa voix était nue, elle aussi.
    
    — Je ne lui ai pas menti sur tout. J’ai mélangé. J’ai glissé des conseils… une part de vérité, une part de poison. Il a coupé les ponts. C’était facile. Il voulait croire que c’était son idée.
    
    Elle m’a raconté qu’elle lui disait des phrases mensonges :
    
    — Tu es différent des autres. J’ai rencontré des hommes riches, puissants… mais toi, tu comprends les choses d’une manière que personne d’autre ne peut.
    
    Et qu’Axel buvait ses paroles. Il voulait être exceptionnel. Elle le lui confirmait. Elle a semé des graines de doute, toujours avec douceur, jamais en forçant. Il commençait à voir le monde à travers ses yeux.
    
    — Je peux te dire quelque chose en toute franchise ?
    — Bien sûr.
    — Je crois que certaines personnes veulent te voir échouer.
    
    Et Sahar avait tout orchestré, avec l’appui de son « recruteur ». Elle a tourné le visage vers moi. Ses lèvres touchaient presque mon épaule.
    
    — Mais ce n’était pas suffisant.
    — L’autre Américain ? j’ai murmuré.
    
    Elle a hoché la tête contre ma peau.
    
    — Il voulait le faire tomber, oui. Mais pas pour nous. Pour ...
    ... lui. Pour se placer. Pour signer d’autres deals, relancer d’autres projets ailleurs, sur d’autres ruines.
    
    Sa voix s’est durcie, sans monter.
    
    — Il n’était pas un allié. Il était un report. Un report de domination.
    
    Elle a laissé un silence, comme pour que je comprenne.
    
    — C’est pour ça qu’il devait disparaître. Pas parce qu’il gênait. Parce qu’il représentait exactement ce qu’on combat. J’ai juste profité de l’opportunité…
    
    Je ne lui ai pas demandé si elle en avait tué d’autres avant. Je ne lui ai pas dit non plus que c’est moi qui l’avais fait. On le savait. C’était fait. Je l’ai serrée un peu plus fort. Son corps contre le mien n’était plus un champ de mines. C’était la promesse de nos pères et de nos mères.
    
    *
    
    Le palace est vide. Les rideaux flottent dans les couloirs déserts. Il ne reste que le vent. Et nos pas. Les riches sont partis vite. Certains en jet privé. D’autres dans des convois de sécurité. Ils ont laissé derrière eux leurs verres à moitié pleins, leurs contrats, leurs montres sur les tables, vestiges d’un règne écroulé.
    
    Je marche sur le même carrelage que la veille, mais le sol a changé. Sahar est à mes côtés. Pas maquillée. Pas coiffée. Belle comme une terre qui s’ouvre à la pluie. On descend la Grande Allée centrale, celle qu’ils appelaient la Promenade des Résidents. Et au loin, je les vois. Ils arrivent.
    
    Le peuple.
    
    À pied. Par centaines. Des femmes en keffieh. Des enfants sur les épaules. Des vieillards qui boitent, mais avancent. ...