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La perle du Nord
Datte: 28/11/2025, Catégories: #chronique, #nonérotique, #historique, Auteur: Laetitia, Source: Revebebe
... glissaient vers elle comme si elle portait un vêtement invisible que tous devinaient. Elle n’avait rien dit. Mais le tableau, lui, parlait déjà. Vermeer, lui, gardait le silence. Mais ce n’était plus le même silence qu’avant. Ce n’était pas un silence d’ignorance. C’était un silence chargé. Il ne la peignit plus jamais. Il ne la convoquait plus, mais parfois, il descendait dans la cuisine. Il restait là, quelques secondes de trop, à la regarder faire son ouvrage. Il ne disait rien. Mais elle sentait que son regard cherchait à retrouver ce qu’il avait capté. Comme s’il voulait à nouveau peindre, mais ne le pouvait plus. Une tension flottait entre eux. Pas du désir direct, non. Quelque chose de plus insidieux. Le souvenir d’un moment d’intimité sans contact, d’un dévoilement sans mots. Un jour, il la frôla en passant. Une simple manche contre une autre. Rien. Mais elle sentit en elle un feu lent, comme une mèche qui ne s’éteint pas. Elle commença à rêver. Des rêves étranges. Elle se voyait dans des pièces nues, vêtue du turban, la perle brillante dans le vide. Des hommes passaient sans la voir. Seul Vermeer restait, à distance, un pinceau dans la main, l’œil fixe. Dans ces rêves, elle ne parlait jamais. Elle comprit alors que ce tableau n’était pas seulement une image d’elle. C’était une question. « Qui suis-je, désormais ? Une servante ? Une muse ? Une fille peinte ? Et pour qui suis-je cela ? » Elle n’avait pas les mots. Mais elle sentait que ce ...
... regard avait fissuré sa place dans le monde. Elle ne pourrait plus se marier, porter les enfants, faire la lessive comme si de rien n’était. Quelque chose en elle s’était détaché de la terre. Elle n’appartenait plus tout à fait au monde des vivants. Elle était devenue, sans l’avoir voulu, la fille d’un silence éternel. La fille à la perle. Les jours passaient, pareils et pourtant déformés, comme vus à travers une vitre embuée. Griet continuait à servir. Elle tenait son rôle avec application, mains propres, dos droit, pas feutrés. Mais en elle, quelque chose n’obéissait plus. Une partie d’elle restait en retrait, comme un témoin invisible. Elle croisait parfois Vermeer dans l’escalier, dans le jardin. Ils ne parlaient jamais. Un hochement de tête. Une lenteur dans le regard. Et c’était tout. Mais cette sobriété contenait plus que mille mots. Elle comprenait à présent ce que c’était, d’aimer sans vouloir posséder. D’être regardée non comme un corps, mais comme une énigme. Il n’avait jamais essayé de la séduire, pas même de l’effleurer. Et pourtant, il l’avait dénudée, en profondeur. Il avait vu ce qu’elle ignorait d’elle-même. C’est cela qu’elle portait en elle désormais. Une forme de nudité invisible. Un soir, elle nettoyait les vitres de l’atelier, en silence. Vermeer était là, assis à l’écart, le pinceau inactif. Il ne la regardait pas. Pas directement. Mais elle savait qu’il l’écoutait respirer. Il dit alors, d’une voix presque inaudible : — Le regard… ...