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La perle du Nord
Datte: 28/11/2025, Catégories: #chronique, #nonérotique, #historique, Auteur: Laetitia, Source: Revebebe
... comme si elle entrait dans un autre rôle, une autre peau. Il la fit asseoir. — Tourne un peu la tête. Encore… Le menton, vers moi. Voilà. Elle sentit son cœur battre sous sa gorge, presque visible. Son regard glissa vers lui, sans le fixer. Il le voulait ainsi, entre fuite et rencontre, c’est ce qu’il lui dit. Une demi-seconde figée dans l’éternité. Et là, dans le silence, elle comprit. Ce qu’il voulait peindre n’était pas un portrait. C’était une énigme. Un regard que personne ne pourrait déchiffrer. Un soupçon de peur, peut-être. Ou de désir. Ou de vérité qui tue. Quelqu’un qui regarde, sans jamais se livrer tout à fait. Elle était assise, la perle à l’oreille, le turban noué autour du front. La lumière entrait par la fenêtre nord, caressait son cou, frôlait sa joue. Vermeer s’était placé face à elle, mais à distance, le pinceau suspendu dans l’air comme un soupir contenu. Il ne disait rien. Depuis plus d’une heure, elle restait ainsi, immobile. Mais dans sa tête, tout bougeait. Il ne la regardait pas comme un homme regarde une femme. Ou alors… si. Mais avec une retenue presque douloureuse. Comme s’il avait appris à désirer sans toucher, à aimer dans l’éloignement sacré du regard. Elle sentait ses yeux sur elle. Pas seulement sur sa peau, mais plus profond. Il cherchait quelque chose. Une fêlure peut-être. Une faille dans la surface. Quelque chose qu’elle-même ne connaissait pas encore. Elle baissa les yeux un instant, mais il l’arrêta. — ...
... Non. Tournée vers moi. Là. Que le regard passe au-dessus de l’épaule. Comme si tu allais parler, mais ne dit rien. Elle s’exécuta. Elle sentit la tension dans sa gorge, dans ses yeux. Ce n’était pas naturel, mais ce n’était pas mensonge. C’était une vérité suspendue. Elle pensa alors : « Que voit-il ? » Elle imagina ce qu’il devinait en elle. La peur ? Oui, elle avait peur. D’être vue trop clairement. D’être trahie par un soupir, un battement de paupière. Elle n’était pas née pour qu’on la peigne. Et pourtant… Il y avait autre chose. Un frisson naissait dans son ventre. Elle ne savait pas si c’était de honte ou de trouble. Il ne la touchait pas. Il ne disait rien de son visage, de sa bouche, de la courbe de son cou. Mais dans ce silence, il y avait plus de proximité, plus d’intimité que dans bien des gestes. Elle était devenue miroir. Et ce qu’il peignait, ce n’était pas seulement ce qu’il voyait, mais plutôt ce qu’il voulait voir. Ce qu’elle devenait sous son regard. Une fille offerte à la lumière, mais fuyante. Une promesse. Une absence presque érotique. Était-ce cela, l’art ? Ce frisson qui ne dit pas son nom ? Ce désir de saisir l’instant juste avant qu’il ne disparaisse ? Elle pensa à Marie, à toutes ces Saintes, à ces figures de tableaux religieux qu’on priait sans les connaître. Et à cette Mona Lisa, dont elle avait entendu parler sans jamais la voir. Était-ce cela qu’il voulait faire d’elle ? Une icône ? Une figure sans mot, mais pleine d’âme ...