1. La perle du Nord


    Datte: 28/11/2025, Catégories: #chronique, #nonérotique, #historique, Auteur: Laetitia, Source: Revebebe

    Delft – Hollande – 1665
    
    Les bruits de Delft étaient feutrés ce matin-là. Même les sabots des chevaux dans la boue semblaient hésiter, comme si le monde retenait son souffle.
    
    Griet versait l’eau dans le seau de cuivre. Chaque goutte résonnait contre les parois, rappel cruel de l’absence de son père, peintre de faïence devenu sourd dans son atelier. Elle avait appris, elle, à écouter à sa place, à mesurer les sons.
    
    Elle écoutait, mais aussi observait les choses avec un soin minutieux, la façon dont la lumière effleurait le bord de la table, la manière dont l’ombre d’un rideau dessinait une larme sur le mur.
    
    C’est pour cela, peut-être, qu’il l’avait choisie.
    
    Quand sa mère la plaça comme servante, elle ne savait pas encore que sa vie allait être figée dans l’éternité.
    
    Elle lui dit : « Tu iras chez le peintre Vermeer. Il a besoin d’une fille propre, discrète, qui ne dérange pas la lumière ».
    
    Vermeer ne parlait pas beaucoup, mais il voyait. Il vit tout de suite en Griet une sensibilité rare. Elle disposait instinctivement les tissus dans la lumière comme une scène de théâtre. Elle comprenait sans qu’on ne lui dise où poser la cruche pour que l’ombre tombe juste. C’était chez elle instinctif.
    
    L’atelier se trouvait à l’étage, au bout d’un couloir étroit. Peu avaient le droit d’y entrer. Vermeer n’aimait pas le bruit, ni les questions, ni même les présences superflues.
    
    Mais ce matin-là, c’est lui qui appela Griet.
    
    — Monte. J’ai besoin de quelqu’un qui ...
    ... voie clair.
    
    Elle monta à pas lents, s’essuyant les mains sur son tablier. Lorsqu’elle poussa la porte, elle crut d’abord que la pièce était vide. Puis elle le vit, à demi tourné vers la fenêtre, le visage baigné d’une lumière pâle.
    
    L’atelier sentait l’huile, la craie, et quelque chose de plus subtil, un parfum d’attente.
    
    — Tiens ça, dit-il en tendant un livre. Fais comme si tu lisais. Plus à gauche. Voilà.
    
    Elle resta là, droite, tandis qu’il mélangeait des pigments. Il ne la regardait pas. Pourtant, elle sentait qu’il la percevait entièrement, le pli de son coude, la mèche de cheveux échappée, la tension dans sa nuque.
    
    Il peignait une autre femme alors, une bourgeoise bien mise, l’épouse d’un marchand de draps. Mais ses yeux revenaient toujours, brièvement, vers Griet. Comme s’il entrevoyait autre chose. Elle lui servait de modèle.
    
    Quelques semaines plus tard, ce fut elle qu’il choisit. Il ne dit pas pourquoi. Il avait vu en elle une lumière plus fine, un mystère plus nu que la fierté des dames bien mises.
    
    Il lui tendit un turban. Bleu et or, comme un morceau du ciel plié.
    
    — Mets ça.
    
    Elle le prit entre ses doigts, et ses mains tremblaient. Était-ce une mise en scène ? Une farce ? Une épreuve ? Elle ne savait pas. Elle noua le tissu maladroitement autour de ses cheveux.
    
    Puis il lui tendit une perle.
    
    — Passe-la à ton oreille gauche.
    
    Elle obéit. Le bijou était lourd. Elle ne portait jamais de bijoux. Elle se sentit soudain étrangère à elle-même, ...
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