Tango des ombres du désir - Histoires de Sexe

Tango des ombres du désir

... d’une soirée que vous avions passée, vers la mi-octobre, tous réunis autour de la grande table de la salle à manger. Pour la première fois de l’année, nous avions allumé un feu dans la cheminée. Pour célébrer cela – beaucoup de choses étaient prétextes à célébrations – il était convenu que chacun devait apporter une spécialité de sa région. En tant qu’Ivoirien, j’ai fait goûter à tous dubangui, c’est-à-dire de la sève de palmier, que j’ai trouvé dans une petite boutique du centre-ville tenue par un couple de compatriotes. Rafael, talentueux cuisinier à ses heures, avait lui-même confectionné unpanettone, spécialité lombarde : une brioche aux raisins secs que l’on prépare traditionnellement à Noël. Électre nous a servi un vin du pays de Carcassonne. La bouteille, un millésime ancien, était couverte de poussière.

— Regardez, nous dit-elle en examinant son verre : on dit que c’est du vin rouge, mais à force d’être sombre, il est presque noir. C’est à peine si l’on distingue des reflets carmin. Mais on n’y voit pas bien sous la lumière artificielle, alors que la pleine lune nous éclaire par la fenêtre. Quelqu’un veut bien éteindre le plafonnier ? Merci !

Elle parlait avec émotion, mais assurance, et se tenait face au rayon de lune, ce qui exacerbait encore sa vénusté. Plus encore que d’habitude, une féminité sauvage émanait d’elle, indomptable, une force qui embrasait tous les cœurs. Nous étions tous pétrifiés ; il me semble entendre encore le son de sa voix et j’en ...

... frémis toujours.

— On compare souvent le vin au sang qui coule dans nos veines, et on dit qu’il donne de la force aux hommes qui en consomment. Mais je ne suis pas venue pour donner la communion, et celui-là est spécial : vous le découvrirez en le goûtant. Je propose qu’on le boive en l’honneur de la Lune qui est ronde ce soir pour mieux nous éclairer.

Nous avons tous trinqué dans la pénombre d’un rayon livide. Étrange breuvage. Il m’a semblé que ce n’était pas un vin de garde et qu’il avait trop ou mal vieilli. Mais il faut avouer que je n’y connais rien en œnologie. Les Français ont un goût qui souvent me surprend. Cependant, une bouteille partagée dans l’amitié réjouit toujours le cœur, quand bien même ce serait de l’eau de vaisselle. Je me souviens avoir levé mon verre avec mes frères d’armes avec des boissons encore plus improbables, toujours avec le même bonheur. Notre fée reprend la parole.

— Il ressemble bien à du sang, mais c’est un sang amer et sombre, celui dont nous saignons, nous les femmes, lorsque la Lune a décidé de nous tourmenter. C’est lui qui abreuve la terre, c’est notre liqueur féconde. Il contient notre part de mystère, celui qui effraye les hommes et leur ôte tout désir de nous étreindre, comme s’il allait dissoudre, à son contact, leur organe viril. Mais ils oublient que sans lui, nous n’existerions tout simplement pas.

Une fois partagé en treize verres, ce liquide ne risquait pas de nous enivrer. Mais c’était elle, la belle, qui nous donnait ...